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La Bourse s’ouvre aux petites entreprises

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«En tant qu’ancienne cheffe de la Bourse, je rêve d’un nouveau modèle durable de marché financier. Une plateforme où investisseurs de long terme et entreprises se rencontreraient, par exemple seulement deux fois par semaine, pour fixer les prix. Une plateforme décélérée et sans spéculateurs.» L’idée émise l’automne dernier sur les ondes de Schweizer Radio DRS par Antoinette Hunziker-Ebneter, cheffe de la Bourse suisse de 1997 à 2000, semble en réalité déjà prendre racine dans certains milieux financiers.

Ce n’est pas encore un raz-de-marée, mais plusieurs opérateurs boursiers ont affiché la volonté de créer une nouvelle génération de Bourses, celle de l’après-crise, dédiée au financement à long terme des petites et moyennes entreprises. Des lieux facilitant la rencontre entre l’épargne tranquille et les besoins concrets de l’économie.

Depuis la crise de 2008, la difficulté d’accès au financement, notamment aux crédits bancaires, constitue en effet l’un des principaux freins à la croissance des PME. Si l’introduction en Bourse pourrait leur offrir une alternative idéale afin de lever des fonds, les marchés financiers restent aujourd’hui largement inadaptés aux spécificités des entreprises de cette taille, coûtant trop cher et ne garantissant pas une assez bonne visibilité par rapport aux multinationales.

«Les PME ont été délaissées par les Bourses classiques, qui se sont plutôt concentrées sur des activités plus rentables comme les produits dérivés, la négociation à haute fréquence ou encore la vente d’informations financières, dénonce Philippe Dardier, directeur d’Alternativa, une Bourse française spécialisée dans les petites entreprises. Or, on observe aujourd’hui une véritable demande d’actionnaires cherchant à soutenir l’économie réelle et à investir en amont dans des projets entrepreneuriaux.»

Un constat partagé par NYSE Euronext: le premier groupe de places boursières au monde planche actuellement sur la création d’une «Bourse de l’entreprise» dédiée exclusivement aux PME. Projet d’envergure européenne, celle-ci accueillerait dans un premier temps des entreprises de France, des Pays-Bas, de Belgique et du Portugal, ainsi que certains titres déjà cotés aujourd’hui sur les marchés de l’opérateur. Autre exemple: Bill Hambrecht, célèbre banquier d’investissement américain, vient de révéler au quotidien «Financial Times» son intention de lancer aux Etats-Unis une Bourse vouée aux petites entreprises.

Le financier prévoit une forte augmentation du nombre d’entrées en Bourse des PME ces prochaines années, suite à la récente adoption du «Jobs act», une nouvelle loi visant notamment à leur faciliter l’accès aux marchés financiers. De son côté, la Commission européenne a proposé, à la fin 2011, une série de mesures législatives similaires, suggérant même l’introduction d’un label pour certifier les nouvelles Bourses de PME.

start-up boursières

Lancée en France en 2007 sur un modèle suédois, la plateforme Alternativa s’est spécialisée dans le financement de sociétés de moins de 150 employés et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 200 millions d’euros. «Nous ne pratiquons pas de cotation en continu comme une Bourse classique, explique Philippe Dardier. La négociation des titres se concentre seulement sur une journée une fois par mois.» Structurée comme une start-up, la Bourse emploie huit personnes. Elle compte 38 entreprises cotées à son actif pour plus de 1’200 investisseurs. «Les grands marchés financiers réalisent la majorité de leurs transactions sur des multinationales, dit l’ancien banquier de Merrill Lynch. Nous voulons redonner la possibilité d’investir dans les entreprises régionales et permettre l’épargne de proximité.»

Avant que les Bourses ne fusionnent en masse dans les années 1990 pour former les grands conglomérats que l’on connaît aujourd’hui, l’Europe comptait en effet de nombreux marchés financiers régionaux. «A l’époque, le manque de transparence entre les Bourses donnait lieu à des délits d’initiés scandaleux, se souvient Philippe Dardier. Avec l’informatique, de telles fraudes ne seraient plus possibles aujourd’hui.» En Suisse, les villes de Genève, Bâle, Lausanne, Zurich, Berne, Saint-Gall et Neuchâtel comptaient toutes leur propre Bourse. Celles de Zurich, Genève, Lausanne et Bâle ont fusionné en 1996 pour former ce qui deviendra SIX Swiss Exchange. Seule la Bourse de Berne opère toujours aujourd’hui de manière indépendante.

«Nous nous positionnons sur le marché des petites et moyennes entreprises, explique Luca Schenk, directeur de BX Berne Exchange, une structure de quatre employés. Nous comptons 40 titres suisses, dont le fabricant d’accessoires de bureau Biella et douze sociétés d’immobiliers. Nos investisseurs sont avant tout des Suisses.» Avec des frais de cotations moins élevés et un soutien accru aux nouvelles entreprises cotées, la Bourse de Berne donne la possibilité à des PME «d’apprendre à devenir publiques et à attirer des actionnaires». A partir d’un certain succès, elles peuvent alors migrer à la Bourse SIX Swiss Exchange. Paradoxalement, la valeur et les volumes de transaction de certains titres ayant déjà passé ce cap ont considérablement chuté une fois à Zurich. «Mieux vaut parfois être une star sur une petite Bourse qu’un petit acteur sur un grand marché.»

Luca Schenk relève que les PME offrent plusieurs avantages pour l’investisseur: «Il est en général plus simple de comprendre le modèle d’affaires des petites que des grosses entreprises. Dans une Bourse comme la nôtre, on peut aussi investir dans les firmes de sa région, celles à côté desquelles on passe tous les jours en voiture. Enfin, plusieurs études ont montré que les PME offrent en moyenne une meilleure rentabilité sur le long terme, bien qu’elles soient plus volatiles à court terme.» Pour le financier, le moment est venu de redécouvrir la fonction primaire des marchés financiers: lever des fonds propres pour les entreprises et les transférer au public, «ce que les grandes Bourses ont oublié.»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 6 / 2012).