LATITUDES

Vieillir jeune

Les personnes âgées inventent de nouvelles manières de vivre, créent des marchés et entrent en politique. Le troisième âge prend le pouvoir.

D’ici 2060, les plus de 60 ans représenteront un Suisse sur trois. Chaque retraité comptera deux personnes actives, contre quatre aujourd’hui. Ce vieillissement concerne le monde entier – même les pays en développement y seront confrontés en raison de la chute du taux de natalité et de l’allongement de l’espérance de vie.

La plupart des commentaires à ce sujet se focalisent sur les conséquences fâcheuses, surtout au niveau économique. Elévation de l’âge de la retraite, encouragement à l’épargne durant la vie active: les mesures envisagées pour répondre à ce défi provoquent la grogne dans l’opinion publique.

Le tableau n’est pourtant pas uniquement sombre: l’allongement de la vie a ses avantages, et pas seulement pour ceux qui en profitent. Porté par l’augmentation du nombre des aînés, un «lobby gris» est en passe de modifier profondément notre société, la médecine et la technologie. Quatre changements feront que notre propre expérience du troisième âge se démarquera complètement de celle qu’ont vécue nos parents et grands-parents.

Vieillir à domicile

Dépendant et coupé de ses amis: la perspective de finir ses jours dans une maison de retraite n’a rien d’enviable. Même si le quotidien dans ces institutions n’est pas forcément aussi morose qu’on se l’imagine, un certain nombre d’initiatives sont mises en œuvre afin de faciliter le séjour à domicile des seniors.

Un nouveau type de colocation transgénérationnelle tente de répondre à la fois au problème du vieillissement et à celui de la pénurie de logements observé dans un nombre croissant de villes européennes. L’idée: assortir des personnes âgées à des jeunes — le plus souvent des étudiants — qui profitent d’un logement gratuit assuré en échange de leur compagnie et d’heures de ménage ou d’une aide pour les repas.

De nouvelles constructions sont conçues afin d’offrir des espaces fonctionnels pour les aînés. Plus vastes, les cages d’escalier et les halls d’entrée peuvent être équipés de rampes et de monte-escaliers, alors que des salles de bain spacieuses permettent un accès avec un déambulateur ou en chaise roulante. «En construisant des maisons adaptées à la vie des personnes âgées, nous évitons que l’Etat dépense de l’argent pour leur séjour en maison de retraite», note Mike Donnelly, qui conseille le British Standards Institute sur les questions d’ergonomie.

On retrouve le même type de préoccupation dans le domaine de l’aménagement urbain. Des projets veulent modeler des quartiers afin de rompre l’isolement des personnes âgées par l’adjonction de magasins, de services et de transports publics aux zones résidentielles. Autre nouvelle tendance, celle des immeubles qui favorisent une mixité générationnelle grâce à des appartements adaptés aux différents âges de la vie. Les Etats-Unis explorent également une voie inverse, celle des «communautés de retraités» où tous les logements et les services sont réservés exclusivement aux plus âgés.

Rester en bonne santé

On ne voit généralement pas les seniors comme des usagers précoces des nouvelles technologies, mais les experts du numérique vieillissent eux aussi, et pourraient voir un nombre croissant de leurs besoins médicaux couverts par des méthodes non traditionnelles.

Des consoles telles que la Wii peuvent être utilisées pour proposer des cours de physiothérapie, et des applications mobiles aident les patients à gérer de manière indépendante des maladies comme le diabète. Le couplage des smartphones et des tablettes à des dispositifs électroniques relativement simples va permettre de surveiller sa santé d’une manière entièrement nouvelle. Une app pour mesurer la capacité pulmonaire est en développement: souffler simplement dans le micro de son téléphone donnera des résultats aussi fiables qu’avec un spiromètre. Autre exemple: un boîtier de téléphone équipé de deux électrodes permettra de faire un électrocardiogramme et de le partager avec son médecin.

Lorsque la communication vidéo sera devenue un standard dans chaque maison, les personnes à mobilité réduite pourront consulter à distance. «La révolution des télécommunications modifie déjà la manière dont nous suivons les maladies chroniques», relève Alain Franco, spécialiste en gériatrie à l’Université de Nice et président de l’International Society for Gerontechnology.

Des robots à nos côtés

Le Japon, qui vieillit plus rapidement que tout autre pays, est à la pointe de la robotique destinée au troisième âge. Les ingénieurs nippons ont par exemple donné vie au Twendy-One, un humanoïde costaud et habile, capable tout aussi bien de soulever une personne de son lit que de lui servir un verre d’eau. «Les robots assistants vont jouer un rôle toujours plus important dans le quotidien des personnes âgées et des handicapés», prophétise Alain Franco.

Des machines au look plus attrayant ont pour mission de répondre à des besoins psychologiques et médicaux. Destiné aux maisons de retraite, «Paro» est un phoque électronique en peluche qui se tortille de plaisir quand on le touche. Le fabricant déclare qu’il a conçu ce robot de compagnie afin de reproduire les effets bénéfiques de la zoothérapie — des animaux amenés en hôpital pour remonter le moral des patients — dans des situations où des créatures vivantes posent des problèmes logistiques.

Le coût de ces machines reste très élevé, mais le prix des nouvelles technologies diminue souvent fortement quelques années après leur introduction, rappelle Alain Franco. Si ces robots parviennent à éviter des séjours en maison de retraite, ils justifieront leur prix.

Le lobby gris

Si la baisse de la natalité et l’allongement de l’espérance de vie ne datent pas d’hier, une nouvelle source de pression a récemment amplifié le phénomène: les premiers enfants du baby-boom ont atteint la soixantaine. Historiquement négligés et marginalisés, les seniors constitueront à l’avenir une force dont il faudra tenir compte.

La Ville de Lucerne a organisé l’an dernier un forum pour mieux intégrer les aînés au processus de décision politique et leur demander leur avis sur des sujets comme le trafic ou l’urbanisme. «Il s’agit d’une nouvelle forme de participation, explique Corinne Sturm Zehnder, directrice du département communal pour les questions du troisième âge. Nous souhaitons que les personnes âgées définissent les priorités.» Suite à l’une de ces séances, le Conseil municipal a lancé une étude pour s’assurer que les personnes âgées et malvoyantes puissent se débrouiller lorsque des travaux perturbent les voies piétonnes.

Mais certains n’attendent pas qu’on vienne leur demander leur avis. Indignée d’avoir été forcée de prendre sa retraite à 65 ans, l’Américaine Maggie Kuhn a fondé en 1970 les Gray Panthers, un lobby actif dans les questions relatives au vieillissement, à la santé et aux prestations sociales. L’âge psychologique de la retraite se déplace fortement. «Un nombre croissant de personnes de plus de 85 ans souhaiteraient maintenir une activité rémunérée, explique John Beard, qui dirige le département «Vieillissement et qualité de vie» à l’OMS. Nous devons combattre nos préjugés et admettre qu’il s’agit de quelque chose de raisonnable. Les personnes âgées représentent une ressource incroyable. Si nous pouvons leur assurer une bonne santé et changer l’environnement de manière à éviter leur marginalisation, elles représenteront une vraie bénédiction pour la société.»

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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.