Le Kremlin répète qu’il ne changera pas de politique en Tchétchénie, malgré les sanctions du Conseil de l’Europe. Vladimir Poutine se moque volontiers de conseils de l’Ouest, depuis que le prix du baril est à 30 dollars.
Le Conseil de l’Europe, dont le siège est à Strasbourg, est une instance à l’importance très relative, puisqu’elle ne dispose d’aucun pouvoir réel, et que ses principales attributions relèvent des domaines de la culture et de l’éducation. Même la Suisse en fait partie, c’est dire si ce Conseil reste un cénacle de la neutralité bien-pensante où l’on ménage en général la susceptibilité de chacun de la cinquantaine d’Etats membres. Pourtant la semaine dernière, le Conseil de l’Europe a pris une décision qui pourrait conditionner, pas moins, l’avenir des relations entre la Russie de Vladimir Poutine et les Occidentaux.
Lassé de voir ses conseils et ses mises en garde sur le respect des droits de l’homme foulés aux pieds par la machine de guerre du Kremlin en Tchétchénie, le «machin» de Strasbourg a suspendu jeudi le droit de vote de la Russie (membre depuis 1996) à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Une recommandation demande en outre au Comité des ministres d’entamer immédiatement une procédure de suspension.
Ce geste politique fort est le premier acte majeur de la politique russe des Européens depuis la confirmation de Vladimir Poutine à la présidence russe voilà deux semaines. Il augure mal de la suite et conforte dans leur certitude ceux qui parient déjà sur l’avènement d’une nouvelle guerre froide (sous une forme différente de la précédente) entre Moscou et les chancelleries occidentales. Le Kremlin risque d’ailleurs de se retrouver à nouveau sur la sellette aujourd’hui lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne à Luxembourg.
Conscient de la défiance croissante à son égard, Poutine a fait réaffirmer par ses principaux lieutenants la ligne dure que continuera à suivre sa Maison Russie. Selon Igor Ivanov, chef de la diplomatie russe, la décision de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe «compliquera le dialogue» avec Moscou. Sergeï Iastrjembski, brillant polyglotte libéral devenu en quelques années un faucon acharné au service des maîtres du Kremlin (Eltsine, puis aujourd’hui Poutine) estime pour sa part que «la Russie ira jusqu’au bout parce qu’il s’agit de son intégrité territoriale. Nous espérons que l’Occident pourra surmonter son syndrome tchétchène».
Cette attitude arrogante et méprisante, l’équipe Poutine peut se la permettre tant que la Russie n’a plus besoin de tendre la main piteusement aux bailleurs de fonds occidentaux (FMI, banques commerciales) pour financer – comme à l’époque Eltsine – ses gigantesques déficits, le paiement des salaires de la fonction publique, ou encore soutenir le cours chancelant du rouble. Cette aumône de l’Ouest en direction de Moscou a longtemps permis de «tenir» d’une certaine manière Boris Eltsine, qui savait très bien, malgré ses coups de gueule nationalistes de pure forme, jusqu’où ne pas aller trop loin.
Mais une chose a changé depuis lors, le prix du pétrole. Avec le cours du baril de brut au plus haut depuis une décennie, la Russie (qui abrite en Sibérie occidentale et dans le Grand Nord de gigantesques réserves d’hydrocarbures) a vu les devises rentrer à un rythme accéléré dans ses caisses depuis quelques mois. Si bien qu’aujourd’hui, Vladimir Poutine a les moyens de se passer de l’aide financière de l’Ouest. «Poutine veut montrer que la Russie est une grande puissance et l’opinion de l’Europe ne l’intéresse pas tant que les pétrodollars rentrent dans les caisses russes», résume le politologue Vladimir Pribylovski.
Gros producteur de pétrole, la Russie recèle également de nombreuses autres matières premières (gaz, métaux ferreux et non-ferreux) dont les cours ont explosé ces derniers temps sur les marchés mondiaux. Comme le palladium, un métal stratégique utilisé par l’industrie spatiale et dont les Russes sont quasiment les uniques producteurs. Or le contrôle de ces matières premières est souvent concentré dans les mains de quelques «oligarques» proches du Kremlin – leur bonne santé économique actuelle est une excellente nouvelle pour Poutine, parce qu’elle lui permet de financer son indépendance face à l’Occident.
D’ailleurs le discours officiel du Kremlin tient compte de cette assurance nouvelle que lui procure le baril à 30 dollars. Moscou a ainsi averti que les sanctions européennes ne devaient pas avoir de répercussions sur les relations de la Russie avec le FMI ou la Banque Mondiale, deux organisations qui ont clairement laissé entendre qu’elles refusaient de voir leurs crédits financer la guerre. Que les bailleurs de fonds coupent les ponts ou non, «la Russie pourrait de toute façon se passer de l’aide du FMI cette année», vient d’affirmer Mikhaïl Kassianov, premier vice-premier ministre et probable futur chef du gouvernement.
Les cours du pétrole restant ce qu’ils sont, volatiles, l’adjectif peut tout aussi bien s’appliquer à la situation politique russe. Mais vu le caractère de Vladimir Poutine et ses rêves de grandeur, il faut espérer que l’essence restera chère à la pompe.