KAPITAL

Le blason redoré de McDonald’s

En pleine errance il y a dix ans, McDonald’s affiche à nouveau une santé éclatante, grâce à la rénovation de ses établissements et une offre de produits plus variée. Portrait d’un restaurateur qui gagne malgré son image de roi de la malbouffe.

«Make everytime a good time» (Fais de chaque moment un bon moment), c’était le slogan de McDonald’s au début du millénaire. Le cinéaste Morgan Spurlock a pris cette invitation au pied de la lettre. Il a consommé tous ses repas pendant un mois chez McDonald’s. Au cours de cette diète calorique, le trentenaire new-yorkais a frôlé la crise cardiaque, pris 13 kg, doublé son taux de cholestérol et réduit sa libido à néant. De cette expérience radicale, il a tiré le documentaire «Super Size Me» (Faites-moi grossir) en 2004.

A cette époque, McDonald’s était au plus mal. La chaîne venait de perdre coup sur coup ses patrons Jim Cantalupo et Charlie Bell, décédés après quelques mois à la tête de l’entreprise, l’un d’une crise cardiaque, l’autre d’un cancer. L’entreprise essuyait une pluie de critiques qui dénonçaient la nocivité de ses produits, son marketing dirigé vers les enfants, ses conditions de travail, ou encore la standardisation extrême imposée à la nourriture et à ses fournisseurs. Des citoyens américains ont même déposé des plaintes: ils accusaient McDonald’s de les avoir rendus obèses. Cette vague d’attaques liée à une plus grande prise de conscience des problèmes de surpoids a fait chuter les résultats du groupe. En 2002 et en 2003, il enregistrait même les premières pertes de son histoire.

C’est dans cette ambiance de deuil, d’incertitude économique et de réputation catastrophique que McDonald’s a décidé de revitaliser sa marque en lançant son «Plan pour gagner» (A Plan to Win). «Vers 2003, McDonald’s a observé ses restaurants et s’est aperçu qu’ils étaient aussi dégoûtants que la nourriture était horrible», relève Steve West, analyste spécialiste de la restauration chez ITG Investment Research à Saint-Louis aux Etats-Unis.

Surnommé le «CEO par accident» à ses débuts en 2004, Jim Skinner a été l’artisan d’un spectaculaire redressement. L’entreprise a connu une progression de son chiffre d’affaires à périmètre constant ces cent-dix derniers mois aux Etats-Unis. En dix ans, son action s’est appréciée de plus de 400%. Traversant superbement la crise de 2008, sa cote n’a décroché légèrement que ces dernières semaines, en raison du contexte économique global et non des fondamentaux négatifs. «McDonald’s s’en sort mieux que la plupart des autres restaurateurs qui subissent des reculs plus nets», affirme Steve West.

L’histoire de ce fleuron de l’économie mondiale débute à Arcadia, une petite ville proche de Los Angeles en Californie. Les frères Richard et Maurice McDonald’s y créent un restaurant baptisé Airdome en 1937. Ils le déplacent trois ans plus tard à San Bernardino et le renomment McDonald’s. Parmi les grillades qu’ils proposent, le hamburger est le plus demandé. Les deux frères décident de tabler exclusivement sur ce produit, bon marché et servi rapidement. Les clients affluent. Les restaurateurs dupliquent leur concept en ouvrant des franchisés dans d’autres villes. En 1948, Ray Kroc, un vendeur de machines à milk-shakes, visite le restaurant de San Bernardino dont la rentabilité l’impressionne. Il décide de s’associer à la famille McDonald’s en devenant leur franchiseur.

Homme d’affaires avisé, il développe le réseau à vive allure. En moyenne, les franchisés reversent 15% de leur chiffre d’affaires à la McDonald’s Corporation qui leur loue les murs. Aujourd’hui encore, environ 80% des restaurants du monde sont des franchises, les autres étant gérés directement par la maison mère ou ses divisions nationales. Admiratif de Walt Disney, Ray Kroc fonde son succès sur les enfants, qu’il tente d’attirer par sa mascotte de clown Ronald qui deviendra l’une des icônes commerciales les plus célèbres du monde. Kroc se fait également le champion de la standardisation. Il impose que l’on mange exactement le même hamburger à Tokyo et à New York. Le temps de cuisson du steak est chronométré à la seconde, la taille du pain ne varie pas d’un millimètre d’un restaurant à l’autre.

A partir des années 1970, McDonald’s entame son internationalisation. Le premier McDonald’s européen s’établit à Zaandam en Hollande. C’est à la rue du Mont-Blanc, à Genève, qu’ouvre le premier restaurant suisse. Aujourd’hui, le groupe compte plus de 33’000 enseignes sur tous les continents. Aux Etats-Unis, le territoire le mieux maillé, on trouve en moyenne un McDonald’s pour 23’000 habitants. La société est bien sûr le leader mondial de la restauration rapide. Selon le consultant Technomic, sa part de marché aux Etats-Unis s’est établie à 49,5% en 2011. En France, deuxième marché du géant américain, elle atteint les 70%.

Lorsqu’on sait que Technomic évaluait la pénétration de McDonald’s aux Etats-Unis à 15,2% en 2003, on prend la mesure du travail accompli par Jim Skinner ces dix dernières années. «Aux Etats-Unis, McDonald’s a commencé par remplacer un millier de ses restaurants les plus vétustes, souvent vieux d’une trentaine d’années, par des enseignes neuves et au goût du jour. L’entreprise a aussi amélioré la qualité de sa nourriture, en ajoutant de nouveaux plats comme les salades, en misant sur les petits déjeuners, en proposant des produits sans acides gras insaturés», explique Steve West. Confronté à des concurrents qui proposaient des produits plus «sains» comme la chaîne de sandwiches Subway ou des ambiances plus conviviales comme le cafetier Starbucks, McDonald’s a étoffé son offre avec quelques produits équilibrés comme des kiwis (montés sur bâtonnet!) en dessert. Pour attirer la clientèle nomade, il a construit des McCafé, au décor lounge, avec des prises pour laptop. On y sert des viennoiseries, des smoothies, des spécialités de café.

Agé de 67 ans, Jim Skinner a pris sa retraite le 1er juillet dernier. C’est Don Thompson, l’ancien directeur d’exploitation, qui lui a succédé à la tête de l’entreprise. Cet Afro-Américain de 48 ans a passé plus de vingt ans au sein de McDonald’s. Il aura la tâche de prolonger la pente ascendante de l’entreprise. «Il a dirigé les activités de McDonald’s Etats-Unis pendant longtemps. Il était au début du Plan to Win. Les McCafé sont son bébé, même si c’est une idée qu’il a piquée à l’Australie. J’ai toute confiance en lui, il fera très bien son travail», estime Steve West.

Malgré sa présence dans le monde entier, McDonald’s a encore de nombreuses possibilités de croissance, notamment en Asie, continent où il se développe rapidement. «Il y a des opportunités en Chine, en Inde et en Russie. Le groupe Yum (qui possède notamment Kentucky Fried Chicken, Taco Bell et Pizza Hut ndlr) est très agressif sur ces territoires, mais il y a de la place pour deux», assure Steve West.

Outre le défi de la croissance, le CEO Don Thompson va devoir améliorer l’image peu reluisante de la société. En dépit des salades et des fruits, McDonald’s reste largement associé à la malbouffe. L’analyste de ITG Investment Research s’attend d’ailleurs à une pression accrue ces prochaines années sur les chaînes de fast-food pour qu’elles proposent une nourriture plus saine et plus variée. «En Europe occidentale, les questions de santé publique et de qualité nutritive sont devenues des problématiques majeures. McDonald’s va clairement devoir adapter son offre, mais pour une entreprise de cette taille les évolutions prennent un certain temps.» Quelques mois après la sortie de «Super Size Me», McDonald’s avait supprimé son offre Super Size et avait distribué des cassettes vidéo d’aérobic pour les enfants. Preuve qu’en cas de critique, le mastodonte est capable de réagir sans tarder et de faire honneur à sa réputation fast.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 4 / 2012).