LATITUDES

Bébé pleure, maman déprime

Près de 18% des jeunes mères souffrent de dépression post-partum. Des recherches menées à Genève lèvent un coin de voile sur cette souffrance qui demeure taboue.

«Si mon bébé pleure, cela veut dire que je suis une mauvaise mère.» Ce jugement à l’emporte-pièce peut conduire entre 10 et 18% des femmes à la dépression post-partum, une pathologie décrite dès 1968 aux Etats-Unis. Celle-ci se manifeste par la tristesse, de l’anxiété, et serait influencée par un sentiment d’incompétence. Des recherches menées par Chantal Razurel, professeure à la Haute Ecole de santé Genève, filière sage-femme, montrent que les pleurs du bébé sont l’un des principaux facteurs pouvant saper le sentiment de confiance en soi, essentiel pour bien vivre sa maternité.

Ses recherches, qui ont bénéficié d’un soutien du Fonds national de la recherche scientifique suisse, fournissent des témoig-nages révélateurs: «Je me demandais ce qu’on allait penser de moi si mon enfant pleurait», confie ainsi une mère. «J’ai toujours l’impression qu’on me considère comme une mauvaise mère s’il pleure», dit telle autre. Psychologue et responsable du Centre périnatal Bien naître, bien grandir à Genève, Muriel Heulin confirme: «Je rencontre des mères qui me disent qu’elles appréhendent de sortir de chez elles et qu’il arrive qu’elles descendent d’un bus parce que leur bébé pleure et que tout le monde les regarde.»

En comparaison, les perturbations du sommeil et les difficultés résultant de la modification de la relation de couple sont des facteurs de dépression post-partum moindres. «Les pleurs du bébé et les difficultés liées à l’allaitement renvoient à l’idée de la continuité physique de la mère, c’est-à-dire à un vécu plus narcissique que les conflits relationnels, par exemple, explique Muriel Heulin. Or, la grossesse et l’accouchement sont des périodes où toute l’histoire ancienne, avec sa part de traumatismes, remonte à la surface. Et la résurgence des traumatismes a tendance à exacerber la fragilité narcissique.» Centrée sur elle-même, la mère qui n’arrive pas à se rassurer sur sa capacité fondamentale à bien s’occuper de son enfant risque donc de percevoir les pleurs du bébé comme un signe d’échec personnel.

Par ailleurs, les femmes manquent de modèles de référence: «L’exemple de leur mère est trop éloigné pour elles et celui de leur grand-mère souvent absent, observe Chantel Razurel. On constate qu’elles ont tendance à se comparer aux autres femmes qui viennent d’accoucher, en particulier à leur voisine de chambre lors de l’hospitalisation post-partum. Or, elles peuvent se sentir disqualifiées si cette comparaison ne tourne pas à leur avantage et leur sentiment de compétence est alors fortement abaissé. C’est comme si elles se plaçaient dans une logique de compétition au lieu de se situer dans un processus d’apprentissage.» Muriel Heulin confirme là encore: «J’ai connu une femme qui se dévalorisait elle-même en regardant sa voisine de quartier pour qui tout se passait bien.» La situation est particulièrement difficile pour les mères primipares: «Comme elles n’ont pas la possibilité de se référer à une expérience antérieure, elles sont vulnérables et se sentent vite peu compétentes dans leur rôle», relève Chantal Razurel.

Depuis les premières descriptions des effets négatifs de la dépression post-partum sur le développement du nourrisson, dans les années 1980, la psychiatrie périnatale connaît un regain d’intérêt. Ainsi, un entretien de soutien à la parentalité a été mis en place il y a une année environ aux Hôpitaux cantonaux universitaires de Genève. Dans certains pays comme la France, des unités psychiatriques mère-enfant ont été ouvertes. «Il faut savoir que la dépression post-partum peut se soigner rapidement et bien lorsqu’elle est prise en charge, se réjouit Nathalie Nanzer, pédopsychiatre aux Hôpitaux cantonaux universitaires de Genève et auteure du livre «La dépression postnatale, sortir du silence». C’est pourquoi les femmes ne devraient pas hésiter à consulter.»

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Les multiples facettes de la psychologie périnatale

La psychopathologie périnatale englobe des manifestations hétérogènes dont la plus connue est la dépression post-partum. Celle-ci peut survenir à n’importe quel moment au cours de l’année qui suit l’accouchement et se résorbe souvent naturellement en quelques semaines ou mois. Mais elle peut aussi durer des années et entraîner de graves perturbations de la relation mère-enfant.

A noter qu’on la confond souvent avec le baby-blues, qui est un épisode bénin caractérisé par de la tristesse, des crises de larmes et de l’irritabilité. Touchant 50% des jeunes mères, il disparaît spontanément en moins de dix jours après l’accouchement. Le déni de grossesse est pour sa part méconnu. On parle de déni partiel lorsque la femme prend conscience de sa grossesse avant l’accouchement (1 cas pour 300 à 500 naissances) et de déni total lorsqu’elle ne réalise ce qui lui arrive qu’après avoir mis au monde son enfant (un cas pour 2500 naissances). Les experts sont divisés quant à l’existence d’une psychopathologie sous-jacente. Ce qui est certain, c’est que le déni de grossesse ne doit pas être assimilé à l’infanticide, qui concerne une naissance sur 8000 et relève sans contredit du trouble psychique.

Enfin, depuis quelques années, certains psychiatres, comme Benoît Bayle, s’intéressent à la psychopathologie conceptionnelle. Celle-ci concerne essentiellement les enfants issus d’un rapport sexuel traumatique (inceste, viol en général).

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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 3).