LATITUDES

Un mariage, c’est aussi un enterrement

Le plaisir et l’originalité supplantent les blagues bêtes et méchantes dans les enterrements de vie de célibataire: de nouvelles agences rencontrent le succès en proposant des programmes de festivités sur mesure.

Lecteurs cinéphiles, vous n’avez certainement pas vu le film Mes meilleures amies. Dans cette pochade américaine, Annie doit organiser l’enterrement de vie de jeune fille de sa meilleure amie, Lilian. Fauchée, névrosée, sous pression, Annie fait tout de travers, provoquant notamment un festival de vomissement dans une boutique de robes de mariée.

Pour laisser ces déboires au rayon promotion des vidéoclubs, les témoins de mariage peuvent désormais faire appel à des spécialistes de ce moment de gaudriole prénuptial.

Ilanit Derrida, nièce du philosophe français et cofondatrice du spa oriental Sérail de Jade à Genève et à Lausanne, troque volontiers ses serviettes contre le costume de wedding planner. «Je reçois les filles autour d’un thé, je les écoute et je tente de répondre à leurs vœux du mieux possible.»

Le Sérail de Jade s’est associé à des prestataires qui complètent son offre de spa. Ainsi, outre le bain turc et la séance de massage, les filles peuvent commander un traiteur, une limousine ou partir en virée nocturne dans un cabaret. «Nous étoffons l’offre de partenaires avec un atelier de cuisine ou une professeure de danse, toujours dans un esprit oriental», ajoute Ilanit Derrida, qui traite plusieurs commandes par jour.

Fruits d’une longue tradition, les enterrements de vie de célibataire consistaient souvent au XIXe siècle en une dernière visite de maisons closes pour le futur marié. Avec la libération féminine, dans les années 1960, les filles ont adopté le rituel, qui vire parfois à la séance de bizutage. La future mariée déguisée de manière grotesque embrasse dans la rue une tonne de garçons au sens premier du terme ou prendre un repas à l’envers pour citer les gages les plus classiques. «Ces cérémonies se développent sous l’influence des bachelor parties américaines», estime Ilanit Derrida. Dans le même temps, la pratique évolue vers des activités qui ont davantage pour objectif de faire plaisir aux futurs mariés qu’à les humilier.

Surfant sur ce marché en expansion, l’agence française Crazy Voyages, et ses départements Crazy-EVJF (crazy enterrement de vie de jeune fille) et Crazy-EVG (crazy enterrement de vie de garçon), propose des week-ends tout compris à l’étranger. «Nous avons organisé des voyages pour nos amis, en tant que témoins. Les participants étaient tellement ravis qu’ils nous ont conseillé d’en faire une activité commerciale», explique Aurélien Boudier, l’un des trois fondateurs. Seulement destiné aux garçons à son lancement en 2009, Crazy Voyages élargit chaque année son offre de destinations et s’est ouvert aux filles récemment.

Crazy Voyages réalise des week-ends sur mesure à Budapest, Cracovie, Deauville ou Barcelone à partir d’un catalogue d’activités testées par ses soins. «Le programme comprend le vol, les nuits d’hébergement, un guide et un minibus qui transporte les participants, des activités diurnes comme du karting, du paintball, une minicorrida à Madrid, la location d’un voilier pour faire de la pêche à Barcelone et des activités nocturnes en boîte de nuit.»

Pour ce professionnel qui a envoyé près de 10’000 personnes en voyage l’an dernier, dont environ 20% de Suisses, la délocalisation serait le meilleur moyen de marquer le coup. «C’est beaucoup plus fort que de rentrer se coucher chacun chez soi. En voyage, on dort ensemble, on vit ensemble, on prend le petit-déjeuner ensemble, ce sont les derniers grands souvenirs d’enfance avant le passage à la vie adulte.»

Forcément, ces réjouissances coûtent plus cher que de balader dans les rues la promise avec un pot de fleurs sur la tête. «Je mets en garde contre les coûts importants dès le premier entretien. Au spa, les filles dépensent environ 1000 francs pour la privatisation de l’espace, le hammam, les soins, etc. Peuvent s’ajouter à l’addition la location de la limousine à 300 francs l’heure, les bouteilles en boîte, etc.» Il faut encore compter la part de la future mariée que ses copines doivent nécessairement inviter. Chez Crazy Voyages, le panier moyen s’élève à environ 250 euros (300 francs) par tête.

Un budget parfois alourdi par les mauvaises surprises. «Au premier rendez-vous, les filles me disent qu’elles seront 14, mais ne viennent au final qu’à 5, alors que les tarifs ont été bloqués au départ.» Cause de ces désistements: la jalousie semblerait- il. «Je conseille de ne pas prévoir des groupes trop larges, car il y a le risque de créer des clans et il y a souvent des filles un peu jalouses du bonheur de l’autre.»

Comme quoi, même quand tout est prévu, l’enterrement de vie de jeune fille peut tourner à la comédie de mœurs. «Pour éviter les tensions, il faut s’entourer du noyau dur des amies», insiste Ilanit Derrida.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.