LATITUDES

Pieds nus: la meilleure chaussure du monde?

Même les meilleures chaussures de sport ne protègent pas des blessures. La course à pieds nus rassemble de plus en plus d’adeptes.

«The fastest shoes in the world?» La question posée par le fabricant suisse de chaussures «On» sur son site internet est bien entendu rhétorique.

Sa réponse («Study results from the sport scientists at ETH Zurich») ne permet absolument pas de conclure à une quelconque supériorité. Les tests effectués sur 37 coureurs indiquent une légère baisse du rythme cardiaque (-2 pulsations par minute) ainsi que de la concentration d’acide lactique (-5%) sans montrer de différence dans la consommation d’oxygène et d’énergie. Guère de quoi prétendre au titre de chaussure la plus rapide de l’Ouest.

Les équipementiers sportifs sortent continuellement de nouvelles baskets censées augmenter les performances et protéger des blessures grâce, notamment, à des semelles plus élastiques. Malgré un siècle d’innovations, la course à pied reste une pratique des plus dangereuses: entre 20 et 80% de ses adeptes réguliers se blessent tous les douze mois, selon une méta-analyse de 2007 effectuée par Marienke van Middelkoop de l’Hôpital universitaire Erasmus à Rotterdam. Pour Steven Robbins de l’Université McGill (Canada), un faux sentiment de sécurité pourrait être responsable des blessures: convaincu qu’une semelle élastique le protège, le joggeur adopte une foulée plus lourde qui génère des chocs plus importants. Les semelles de ces chaussures miracles sont remplies d’air — et les promesses publicitaires ne sont souvent, hélas, que du vent.

Un nombre croissant de coureurs se détourne de la technologie pour retourner à la nature et courir pieds nus — les moins fanatiques protègent leur plante des pieds à l’aide de «chaussures-gants» ou de baskets extrêmement minces. Ils sont persuadés qu’il s’agit de la meilleure manière de courir et la seule qui permette d’éviter de se blesser. L’argument est intéressant: sans protection, il est nécessaire d’amortir la foulée par l’ensemble du pied en commençant par l’avant — et non pas uniquement avec le talon, une partie rigide incapable d’absorber efficacement. Bien effectuée, la course pieds nus diminue donc l’intensité des chocs avec le sol. Hélas, une baisse du nombre de blessures n’a pas pu être démontrée sur le plan épidémiologique et même la question énergétique n’a pu être tranchée: Nicholas Hansen de l’Université du Nebraska a trouvé en 2011 que courir pieds nus diminue de 2 à 5% la consommation d’oxygène, alors que Rodger Kram de l’Université du Colorado a affirmé exactement l’inverse en 2012. Entre va-nu-pieds et bien chaussés, la guerre de religion est aussi une bataille d’experts.

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Courir après les antilopes pour les épuiser

Piètre sprinter, «Homo sapiens» est extrêmement performant dans la course d’endurance — surtout par temps chaud. La raison? Il est capable de bien se refroidir grâce à la transpiration et sa faible pilosité. Les bushmen du Kalahari (Afrique australe) pratiquent encore de nos jours la chasse à l’épuisement, une poursuite pouvant durer 8 heures dans laquelle l’antilope pourchassée finit parfois par tomber d’épuisement. Selon le livre «Born to Run» de Christopher McDougall, les Tarahumaras du Mexique peuvent courir en sandalettes sur près de 200 km sur des terrains accidentés. Le biologiste David Carrier avait émis en 1984 l’hypothèse que la chasse à l’épuisement aurait été pratiquée par nos ancêtres et joué un rôle dans l’évolution d’«Homo sapiens» — mais des preuves claires manquent encore à ce jour.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.