LATITUDES

Le sportif, nouvel animal de laboratoire

Athlètes et chercheurs travaillent ensemble pour optimiser les performances. L’entraînement est devenu une science.

Sans recourir aux dernières techniques d’entraînement, un sportif d’endurance, même très talentueux, n’a aujourd’hui plus aucune chance de s’imposer au plus haut niveau.» C’est le constat implacable dressé par Jon Wehrlin, qui suit les sportifs d’endurance suisses à la Haute Ecole fédérale du sport de Macolin (BE). «La manière de tester les capacités physiques des athlètes a énormément évolué ces dernières années. Nous disposons aujourd’hui d’un matériel de test spécifique à chaque discipline et type d’épreuve (sprint, demi-fond ou endurance, ndlr). Ce n’était pas le cas il y a encore deux ans.»

Les paramètres physiologiques enregistrés en laboratoire (fréquences cardiaques, seuil lactique, seuil anaérobie, VO2 max, etc.) ne sont pas nouveaux, mais les infrastructures peuvent désormais reproduire encore plus fidèlement les conditions réelles de compétition. Les skieurs de fond, par exemple, passent désormais leur test physique équipés de skis à roulettes et de bâtons. «Auparavant, tout le monde courait sur un tapis roulant ou pédalait sur un vélo, explique Jon Wehrlin. Cette méthode est certes efficace pour évaluer les performances des athlètes directement concernés, mais ne s’avère pas entièrement satisfaisante pour les fondeurs. Ils peuvent aujourd’hui connaître exactement leur capacité maximale sur une distance donnée.»

Détecter les talents

Les dernières connaissances portant sur le taux d’hémoglobine des athlètes permettent une détection précoce des talents. «Dès l’âge de 16 ans, le taux d’hémoglobine détermine pour une large part la capacité de transport d’oxygène du sang, explique Jon Wehrlin. Ce paramètre essentiel pour les sports d’endurance dépend de facteurs génétiques mais augmente avec un entraînement adapté. Au terme d’un stage en altitude, nous pouvons, par exemple, observer comment le taux d’hémoglobine de tel ou tel jeune athlète a réagi. En fonction des résultats observés, il est possible d’établir un programme personnalisé et ainsi d’optimiser les effets de l’entraînement.»

Dans les sports où la vitesse et l’explosivité jouent un rôle déterminant (du hockey sur glace au football, en passant par le saut à skis, la lutte, le tennis ou encore l’athlétisme), les avancées scientifiques permettent là aussi de parfaire la préparation. A Macolin, l’élite du sport suisse défile régulièrement dans le laboratoire de Klaus Hübener, spécialiste du diagnostic des performances musculaires. Les athlètes se soumettent à des batteries de tests visant à évaluer la force maximale qu’ils peuvent atteindre lors d’un mouvement donné. Une méthode consiste à ajouter graduellement des poids lors d’un saut à la verticale sur une plateforme munie de capteurs jusqu’à approcher ou dépasser les niveaux requis pour une performance au plus haut niveau. «Dans certains sports tels que le bob ou le hockey, la prise de masse est recherchée, alors que pour le tennis ou le saut à skis, l’athlète doit gagner en explosivité sans prendre trop de poids, explique Klaus Hübener. Il est possible de limiter l’hypertrophie musculaire en effectuant des séries très courtes (cinq répétitions au maximum) avec la charge la plus élevée possible au lieu de répéter plus souvent l’exercice avec une charge plus faible. Cette manière de procéder entraîne le corps à solliciter un maximum de fibres musculaires.»

Ces tests en laboratoire donnent de précieuses indications pour établir des programmes d’entraînement adaptés et permettent du même coup aux athlètes d’évaluer leur état de forme momentané à un instant précis de leur préparation. Les habitudes ont là aussi nettement évolué. Le suivi des skieurs actuels n’a, par exemple, plus rien de commun avec celui de la génération Pirmin Zurbriggen: «Les skieurs viennent passer des tests 2 ou 3 fois par an durant leur période de préparation entre avril et octobre, indique Klaus Hübener. Avec l’expérience, certains athlètes se connaissent tellement bien qu’ils ne ressentent plus le besoin d’être examinés aussi souvent. C’était le cas de Didier Cuche qui, à la fin de sa carrière, savait très exactement comment se préparer physiquement. Mais Simon Ammann (double champion olympique suisse de saut à skis aux JO de 2002 et 2010, ndlr) continue de passer des tests réguliers, malgré sa grande expérience. C’est une manière pour lui de savoir très exactement où il se situe sur le plan physique.»

Un million la médaille

Pour le spectateur, les effets de la préparation physique spécifique des athlètes de haut niveau s’observent à l’œil nu. En termes de musculature, de vitesse et d’explosivité, les équipes actuelles de football ou de rugby n’ont plus rien à voir avec leurs homologues des années 1980 – un constat qui reste valable en dehors de toute suspicion de dopage. Le tennisman Novak Djokovic incarne cet idéal de l’athlète ultime parfaitement calibré pour l’exercice de son sport — un «alliage parfait d’endurance et d’explosivité» selon les termes de l’ancien numéro un mondial Jim Courrier.

Les fédérations sportives peuvent consentir à de très gros investissements afin d’améliorer la préparation physique de leurs athlètes, rappelle Jon Wehrlin: «Dans la perspective des Jeux olympiques de Vancouver 2010, le Canada avait débloqué un budget de plusieurs dizaines de millions de dollars — et a terminé en tête avec 14 médailles d’or et 26 médailles au total.» Soit, grosso modo, un million la médaille. En Suisse, les moyens alloués ne peuvent rivaliser avec de telles dépenses, mais des projets existent néanmoins pour tirer parti des dernières méthodes d’entraînement. C’est notamment le cas de «Footuro», un concept mis sur pied par l’Association suisse de football (ASF) en collaboration avec l’Office fédéral du sport, qui s’adresse aux jeunes talents. «Les meilleurs joueurs suisses âgés de 17 à 20 ans viennent à Macolin jusqu’à 5 fois par an pour passer des tests en laboratoire, explique Klaus Hübener. Cet encadrement va leur permettre de disposer de conseils personnalisés. Et ainsi, d’exploiter au maximum tout leur potentiel.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.