GLOCAL

Combattre le harcèlement à l’école

Racket, insultes et cybermobbing: une étude internationale estime que 12% des enfants sont victimes de leurs camarades. Une souffrance croissante, accentuée par l’usage permanent des nouvelles technologies. Enquête.

«A la gym, les autres se moquent toujours de moi», «On ne cesse de m’insulter en classe» ou «J’ai peur, je ne veux plus sortir de ma maison pour aller au collège».

Ces appels à l’aide lancés par des jeunes Romands sur ciao.ch, site d’aide et d’information pour les adolescents, expriment un même sentiment: la souffrance d’être maltraité ou humilié par des camarades. «J’en ai marre de me faire insulter mais malheureusement je n’ause (sic) pas dire a qui que se soit», poursuit sur le site ce Vaudois de 15 ans.

Si l’acharnement sur un même enfant par ses camarades existe depuis bien longtemps (on se souvient de la Guerre des boutons!), parents, politiques et pédagogues prennent davantage conscience aujourd’hui des conséquences graves de ces agissements. Des histoires tragiques ont récemment marqué l’opinion publique, comme celle de cette jeune Française de 12 ans qui s’est donné la mort par balle, expliquant dans une lettre ne vouloir plus être le «souffre-douleur» de ses camarades…

Humiliations, insultes, mises à l’écart, vols et détérioration de matériel ou attaques physiques peuvent, sur le long terme, nuire fortement à la victime. Cette prise de conscience se constate aussi par le nombre croissant de publications sur le sujet. Une étude d’envergure réalisée l’an dernier par l’Observatoire international de la violence à l’école sur la «victimation et le climat scolaire», a par exemple démontré qu’environ 12% des élèves sont harcelés. «Décrochage scolaire, absentéisme, tendances dépressives et suicidaires» en résultent.

«Le mobbing entre élèves gagne en visibilité en Suisse, constate le psychologue Philip Jaffé, organisateur d’un colloque international baptisé “Harcèlement entre pairs: agir dans les tranchées de l’école » qui se déroulera au mois de mai à Sion (VS). Les pays scandinaves s’interrogent et analysent le phénomène du bullying depuis les années 70. La Suisse romande a suivi le mouvement français et agit depuis peu.»

Une forme récente de harcèlement prolonge la violence au-delà du cadre scolaire: le cybermobbing. «Avant la démocratisation des nouvelles technologies, les insultes se terminaient quand l’écolier arrivait chez lui, note Sébastien Gendre, responsable du département formation et prévention chez Action Innocence. Avec l’internet et les smartphones, les moqueries durent 24 h sur 24. En pleine nuit, un enfant peut recevoir un SMS injurieux.» La possibilité d’agir de manière anonyme encourage aussi certains à poster sur l’internet des propos insultants…

Sébastien Gendre estime qu’il ne faut pas interdire aux jeunes l’accès aux nouvelles technologies pour autant. «L’internet en soi n’est pas le problème. C’est la manière dont les réseaux sociaux ou les portables sont utilisés qui peut se révéler dévastatrice.» D’où la nécessité de les former à ces outils. «Un enfant peut être capable de trafiquer une photo d’un camarade mais ne saura pas prendre le recul nécessaire pour mesurer les conséquences d’une telle publication sur le Net. En fait, en matière de savoir-faire, les parents n’ont souvent rien à enseigner à leurs enfants. En revanche, les adultes doivent les aider à développer leur savoir-être vis-à-vis de ces technologies.»

Pourquoi des adolescents s’unissent pour s’acharner perpétuellement sur une seule personne? Pour Anne Edan, médecin au Service de psychia trie de l’enfant et de l’adolescent des HUG, les difficultés rencontrées à cette période de vie, «entre l’enfance et l’âge adulte» expliquent certains agissements. «Arrivé à l’adolescence, un enfant commence à se poser des questions sur le regard que le monde porte sur lui. L’adolescent rejoint un « clan », en espérant que celui-ci l’aide à se construire une identité. Un groupe peut s’acharner sur un bouc émissaire afin de maintenir sa cohésion.»

La fragilité, due notamment à la métamorphose physiologique inhérente à l’âge, représente l’un des sentiments qui déstabilisent l’individu. «L’adolescent ne veut pas être considéré comme faible, voire le plus faible. Il aura tendance à attaquer ceux qui lui renvoient ce reflet insupportable», poursuit la psychiatre.

Sébastien Gendre constate également que, «souvent, les auteurs de ces violences sont des anciennes victimes. Il s’agit d’une mauvaise réponse donnée à une expérience vécue.»

Face à leur enfant manifestement harcelé, les parents se sentent souvent démunis. «Lorsqu’ils nous appellent pour nous expliquer que leur enfant s’est fait agresser ou taper, ils veulent connaître les possibilités qu’ils ont d’agir, explique Sylvie Pittet Blanchette, secrétaire générale de l’Association vaudoise des parents d’élèves. A qui doivent-ils s’adresser? La manière dont leur enfant gère ses relations avec ses camarades inquiète les parents tout autant que les résultats scolaires.»

Longtemps laissés entre les mains des médiateurs, des travailleurs sociaux ou psychologues de l’école, les cas de harcèlement entre camarades ne figurent plus au rang des problèmes de discipline que chaque établissement peut gérer par lui-même.

La tendance actuelle favorise la collaboration entre les différents adultes responsables de l’éducation des enfants. «Tout le monde doit agir pour lutter contre le harcèlement, affirme May Piaget, secrétaire générale adjointe du Département de l’instruction publique genevois. Tous les adultes — dans et autour de l’établissement scolaire (doyens, conseillers et travailleurs sociaux), y compris les parents — sont concernés.»

Le règne de l’omerta. «On parle aujourd’hui de « coéducation », ajoute Liliane Galley, collaboratrice scientifique à l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), qui met en œuvre un programme national baptisé « Jeunes et violence ». Dans toutes les actions menées en matière de prévention ou d’intervention chez les jeunes, il est important d’impliquer parents et enseignants.»

Ce programme, lancé l’an dernier par la Confédération, intègre la question du harcèlement à l’école. «Il existe déjà de nombreuses mesures de prévention dans les cantons, poursuit Liliane Galley. L’objectif aujourd’hui est de réunir et de partager ces connaissances, notamment sur un site lancé au début de mars (www.jeunesetviolence.ch) et lors de conférences nationales (après Berne en 2012, la deuxième se tiendra à Genève à l’automne 2013, ndlr), qui réunissent des représentants fédéraux, cantonaux et communaux.»

Parmi les priorités: «Instituer des services spécialisés pour conseiller les établissements scolaires face à des problèmes de comportement» et «former les enseignants sur les nouvelles formes de violence telles que le cyberharcèlement».

Le Département de la formation, de la jeunesse et de la culture vaudois a par exemple envoyé un questionnaire à tous les directeurs des établissements de la scolarité obligatoire. «Nous voulons connaître ce qu’il se passe exactement sur le terrain afin de prendre les mesures adéquates, explique Rebecca Ruiz, qui dirige un projet de recherche sur la violence et les incivilités à l’école. Les questions porteront aussi sur les réseaux sociaux.»

Quant aux parents, ils doivent constamment rester attentifs à l’attitude de leur enfant. «Si l’on pense que son fils ou sa fille est victime de harcèlement, il ne faut pas s’alarmer, rassure Sébastien Gendre, d’Action Innocence. L’essentiel est de toujours maintenir le dialogue avec lui. Si l’enfant dit que tout va bien, mais que les doutes persistent chez les parents, il faut insister. L’omerta règne dans ces cas-là! Parfois, une victime ne souhaite pas parler à son père ou sa mère, en revanche elle pourrait se confier plus facilement à un autre adulte de son entourage, à son parrain, aux grandsparents ou au pédiatre par exemple. Si l’enfant admet des violences ou du mobbing à son égard, les parents doivent prendre contact avec la direction de l’école. Très souvent, « les bourreaux » justifient leur comportement par « l’envie de s’amuser », et arrêtent leurs agissements, sans représailles à l’égard de l’enfant qui s’est exprimé.»

«Il faut garder à l’esprit que l’adolescence est une période de grandes pulsions, note la psychiatre Anne Edan. La violence est inacceptable et doit être arrêtée, mais l’acte de grandir est en soi violent. Traiter la violence, c’est à la fois la condamner et y déceler la dimension structurante et nécessaire au développement des jeunes.»
_______

TEMOIGNAGES

«Ma fille a peur d’aller à l’école le lundi»
Magali*, mère de Laura*, 10 ans, Yverdon

Plus rare que chez les adolescents, le harcèlement entre écoliers du niveau primaire peut créer le même mal-être chez la victime. Laura, élève dans la région d’Yverdon, se fait harceler depuis plusieurs années par une camarade de classe. «Les bousculades et les insultes se produisent au quotidien sur le chemin de l’école ou lors de goûters d’anniversaire», explique Magali, la maman. Plusieurs tentatives de discussions avec la mère de l’autre fillette n’ont jamais abouti. «La situation a toujours été minimisée. Pourtant, ma fille en souffre, je la vois s’éteindre le dimanche en fin de journée, elle a peur de retourner à l’école le lundi.» Lorsque des gestes violents (gifle et arrachage de cheveux) se produisent, Magali en parle d’abord à une médiatrice scolaire, qui apaise la situation pendant quelque temps. Récemment, c’est à la direction de l’établissement qu’elle s’est adressée. «On m’a expliqué que l’école ne pouvait pas intervenir car ces faits se déroulent en dehors du cadre scolaire. Je me sens pieds et poings liés; la seule solution que j’envisage aujourd’hui — même si je ne la cautionne pas — est celle d’apprendre à ma fille à se défendre et de l’aider à ne plus se sentir affectée par tout cela.»
*Prénoms fictifs

«J’en ai marre de me faire insulter»
Thomas*, 16 ans, Genève

Thomas, étudiant dans une école secondaire genevoise, dit «ne plus vouloir se rendre en cours». «J’en ai marre de me faire insulter, je préférerais rester chez moi, mais je tiens à réussir mon année.» Un groupe de trois garçons, parfois soutenus par d’autres, s’en prennent régulièrement à son physique. «Un jour, ils me disent que je suis gros, le lendemain ils critiquent ma coupe de cheveux ou mon sac… C’est de petits trucs, mais ça me blesse.» Lorsque des photos de lui, prises à son insu sur le chemin de l’école, apparaissent sur l’internet, Thomas réagit très mal. «Je n’étais pas au courant de la mise en ligne de ces images, un copain m’a averti. Je suis tout de suite allé voir sur le réseau social en question et j’ai découvert une liste de commentaires moqueurs («tieu la sale tête!» par exemple) et des dizaines de personnes qui marquaient par un clic leur approbation. Je me suis senti très mal pendant plusieurs jours.» Proche de ses parents, le jeune garçon finit par se confier. «Mon père connaît les parents de l’un des instigateurs. Il les a appelés et les photos ont été supprimées. Aujourd’hui, ces trois garçons m’ignorent la plupart du temps, mais j’entends encore quelques commentaires qui me rendent triste… J’espère que ça s’arrêtera, car ces histoires ont beaucoup affecté mon envie d’aller à l’école.»

*Prénom fictif