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Problème: les start-up romandes doivent s’exiler pour grandir

De nombreuses entreprises prometteuses sont forcées d’aller se développer aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Les raisons de cet exode? Les coûts élevés et la pénurie de professionnels qualifiés.

large120312.jpgFondée à Morges en février 2011, l’entreprise Voxtrot a développé une application permettant de téléphoner gratuitement sur smartphone. Elle vient d’annoncer son déménagement à Toronto où son patron, Paul-Frédéric Viès, cherche actuellement des locaux.

Ce départ de Suisse succède à celui de HouseTrip, le service lausannois de location d’appartements de vacances qui, tout en gardant son siège en Suisse, a fait migrer le gros de ses effectifs à Londres en mars 2011. Son patron, Arnaud Bertrand, déclarait lors de la remise du Prix Strategis — qui récompensait HouseTrip l’an dernier — qu’il était très facile de créer une start-up en Suisse. Il admet aujourd’hui qu’il est bien plus compliqué de faire grandir ces structures sur le territoire helvétique.

Ces exils mettent en lumière les carences de la Suisse, où les start-up Internet se sentent vite à l’étroit. Paul-Frédéric Viès avance l’argument d’une tentative de développement sur le continent américain pour justifier le déménagement de Voxtrot. Après les appareils dotés du système Android, il prévoit de proposer son application aux utilisateurs d’iPhone.

Dans le cas de HouseTrip, c’est le recrutement qui devenait un casse-tête. “Nous souhaitions engager beaucoup d’employés: des développeurs, des designers, des spécialistes du marketing en ligne. Ces profils sont très difficiles à trouver à Lausanne, ou ailleurs en Suisse. Il n’y a pas une réserve de talents suffisante dans ces professions”, explique Arnaud Bertrand, le cofondateur de l’entreprise. Or, on le sait, une start-up doit poursuivre son développement au rythme du marché, faute de quoi elle court le risque d’être dépassée par ses concurrentes.

La règle s’applique pleinement à HouseTrip. La start-up bataille dans un environnement hautement concurrentiel face à des poids lourds comme l’américain AirBnB ou sa copie allemande Wimdu. Cette urgence liée au modèle des start-up implique aussi qu’elles n’ont que peu de temps pour former de nouvelles recrues. Elles doivent de préférence engager des employés expérimentés. “Nous cherchons des collaborateurs qui se sont déjà pris des murs”, confirme Edouard Lambelet, créateur de SmallRivers.

A Londres, un important vivier de sociétés actives dans le tourisme, HouseTrip a pu embaucher le personnel qui lui faisait défaut: des professionnels chevronnés à l’image de son chef opérationnel, un transfuge de l’agence de voyages en ligne Expedia. La main-d’oeuvre anglaise se révèle plus abondante, et moins gourmande au niveau salarial. “En Suisse, où le taux de chômage est bas, on rencontre peu de candidats, et ceux qui se présentent réclament souvent des sommes déraisonnables”, regrette Arnaud Bertrand. On comprendra qu’avec ses 80 employés actuels, l’entrepreneur soit attentif à cette question.

“Au départ, on est jeune, on en veut et on verse de très petits salaires, mais dès qu’ on se transforme en PME, on doit changer de modèle”, résume Stéphane Doutriaux, créateur et président exécutif de Poken, un système d’échange de carte de visite virtuelle basé à Lausanne. Pour Poken, les charges salariales trop lourdes ont nécessité de réduire les effectifs suisses et de délocaliser partiellement en Roumanie.

Aux salaires s’ajoutent des frais structurels conséquents en Suisse. “Le prix du mètre carré ou des services pèse sur les start-up. En France, par exemple, Free propose une connexion Internet à seulement 2 euros par mois”, rappelle Jordi Montserrat, directeur de VentureLab Suisse romande, organisme fédéral de soutien aux entrepreneurs. Autre faiblesse de la Suisse pour les start-up du Web: l’exiguïté de son marché. La Toile se divise toujours en pays et en zones géographiques plus ou moins étanches. Les particularismes régionaux et la barrière des langues cantonnent parfois de bonnes idées à des ères restreintes. “Rien qu’au niveau suisse, iTaste marche moins bien en Suisse alémanique qu’en Suisse romande parce que nous n’avons pas de bureau à Zurich”, témoigne ainsi Paul de la Rochefoucauld, le fondateur du site participatif de critiques de restaurants.

Pour attaquer le marché européen, les sites Internet américains sont obligés d’ouvrir des antennes régionales comme le guide Yelp qui vient d’inaugurer des bureaux à Lyon et Marseille. Avec son bassin de population modeste et son plurilinguisme, la Suisse offre un faible potentiel économique. “On est les leaders du marché, mais notre valeur d’entreprise n’est pas très élevée. Il vaut mieux être actif sur un marché où il y a plus d’utilisateurs potentiels”, conseille le patron de iTaste.

Un facteur sociologique pénalise aussi les start-up européennes, selon Stéphane Doutriaux. “Ici, les jeunes sortent, passent du temps en famille, vont au ski. Aux Etats-Unis, où la densité de population ainsi que le pouvoir d’achat sont moindres, les gens passent tout leur temps libre devant la télé ou à jouer avec des applications sur leur smartphone…”

C’est l’une des raisons qui ont poussé l’entrepreneur à changer son modèle d’affaires. D’abord conçue comme un gadget ludique, Poken s’est mué en un outil destiné aux entreprises, utile notamment pour échanger des informations lors de congrès. “En Suisse, nous sommes bien positionnés pour faire affaire avec des entreprises à un niveau international car cela ne nécessite pas d’ancrage particulier. En revanche, nous sommes trop isolés pour percer dans le commerce avec des clients privés où il s’agit d’atteindre une masse critique d’utilisateurs.”

SmallRivers, la start-up créée par Edouard Lambelet, se trouve au coeur de cette même problématique. Son site Paper.li permet d’agréger et de classer sous la forme d’un journal le contenu désordonné issu de réseaux sociaux. Service sans spécificité locale, hormis la langue, Paper.li connaît un développement viral, avec 40% des utilisateurs aux Etats-Unis et une base importante en Europe, associée à une forte croissance en Asie et au Brésil. Dès lors, que faire? Partir aux Etats-Unis pour assurer un développement sur ce territoire? Rester et rayonner depuis l’Europe? “Le Graal serait d’avoir une baguette magique et de faire de l’ubiquité entre tous ces territoires”, sourit Edouard Lambelet. C’est bien la stratégie qu’ il s’apprête à suivre.

SmallRivers prévoit d’ouvrir une succursale aux Etats-Unis en 2012, dans la Silicon Valley ou à New York. “La Californie est le centre mondial pour les services et New York pour les médias; le choix entre les deux destinations dépendra des personnes que nous repérerons.” L’équipe américaine devrait fournir les compétences rares en Suisse de webmarketing et de business development. Le but de cette nouvelle succursale est aussi d’insérer SmallRivers dans un réseau de partenaires et d’investisseurs aux moyens et aux ambitions plus élevés. En Suisse, les gros investissements concernent en effet surtout les start-up biotech et medtech. “La Suisse n’est pas un désert. Seulement, aux Etats-Unis, quand vous avez un bon projet, les gens sont prêts à prendre de plus gros risques et à mettre sur la table des sommes de l’ordre de 5 millions de dollars très tôt dans la vie d’une startup, ce qui se fait rarement en Europe”, confirme Jordi Montserrat.

Malgré ses promesses, l’exil aux Etats-Unis n’est pas pour autant la clé du succès. “Il faut que les fondateurs soient à l’aise avec la langue et la culture américaine et qu’ils embauchent les bonnes personnes, un exercice complexe quand on n’est pas dans sa propre culture”, met en garde Stéphane Doutriaux.

D’autres aspects retiennent heureusement certaines startup en Suisse: les structures d’accompagnement et de formation, qui permettent aux entreprises de se développer rapidement, et les aides fédérales de la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI). Par ailleurs, l’habitude du plurilinguisme facilite la pénétration sur le marché international. “Il nous est plus naturel qu’à des Parisiens ou des Berlinois de nous lancer à la fois sur le marché français et allemand”, remarque Paul de la Rochefoucauld.

Ainsi, les quelques exils récents n’ont rien d’inquiétant selon Jordi Montserrat: “Il s’agit de flux qui vont dans les deux sens et non pas d’exils. La moitié des start-up créées en Suisse sont fondées par des étrangers, souvent liés à des hautes écoles. Il faut donc aussi relever et maintenir la capacité d’attraction du pays.”
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Ces start-up qui partent pour conquérir le monde

Les entrepreneurs à la tête de start-up “Web” regrettent la masse critique trop faible de la Suisse, tant en termes de professionnels qualifiés que de clients. Cela limite l’émergence d’un véritable écosystème où pourraient croître rapidement les sociétés les plus ambitieuses.

Voxtrot
Activité: téléphonie
Direction: Paul-Frédéric Viès

Paper Li
Activité: Web blogging
Direction: Edouard Lambelet

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Activité: location immobilière
Direction: Arnaud Bertrand

Poken
Activité: IT
Direction: Stéphane Doutriaux
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.