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L’étrange peur de l’immigration européenne

Le parti radical, à la remorque d’une initiative UDC mettant en péril la libre circulation, veut actionner la fameuse «clause de sauvegarde». Le Conseil fédéral est tenté. Une balle dans les deux pieds?

large010312.jpg«Clause de sauvegarde»: voilà qui sonne comme un SOS avant la fin du monde. Alors qu’il ne s’agit que de cette possibilité, contenue dans les accords bilatéraux sur la libre circulation, de restreindre l’immigration européenne. Le Conseil fédéral est tenté d’actionner le signal d’alarme et le parti radical vient de se déclarer pour. Au motif que l’augmentation constatée de l’immigration en provenance de l’Union commencerait à déployer d’horribles et très inattendus effets. Tels que «les faux indépendants, le dumping salarial et les abus des assurances sociales».

Augmentation il y a eu certes, l’an dernier, mais de médiocre importance: 59’000 permis de séjour attribués à des ressortissants européens, soit 7’000 de plus qu’en 2010, loin donc d’un raz de marée dévastateur. Cette prise de position du parti radical ressemble d’autant mieux à un leurre électoral que la fameuse clause ne concerne que les 8 nouveaux adhérents de l’Union, les inquiétants petits derniers venu de l’Est. Autant dire une goutte d’eau dans l’océan migratoire, puisque sur les 59’000 permis évoqués plus haut, 53’000 concernaient les quinze anciens membres, pas touchés par la clause. Dont l’actionnement produirait donc un effet à peu près nul.

Alors à quoi bon l’agiter comme on sonne le tocsin? Les radicaux estiment que c’est «un pas à franchir». Oui mais vers quoi? Un abandon unilatéral et total de la libre circulation comme le voudrait l’UDC dans sa dernière initiative dite «contre l’immigration massive»? Histoire de permettre le renvois de ces nouveaux réfugiés économiques arrivés de pays voisins et amis, poussés par la crise. Une immigration souvent jeune, qualifiée, entreprenante, une élite chassée par les turbulences successives qui frappent la zone euro depuis 2007 et qui en échange d’un peu de stabilité est prête à faire profiter la Suisse de ses compétences et de son énergie. Une immigration souvent polyglotte et qui n’a pas ou peu de problèmes d’intégration. Et puis si c’est une chose d’être hors de la communauté européenne, c’en est une autre de se montrer inutilement hostile et méfiant envers un ensemble de pays si proches, qu’on le veuille ou non, et qui nous entourent et nous ressemblent.

De quoi donc alors les radicaux ont-ils peur? Cherchent-ils simplement à venir picorer sans trop d’effort sur les terres de l’UDC avec un thème facile et porteur mais sans conséquence réelle? La manoeuvre apparaît de très petite envergure. Même s’il peut sembler habile, à la manière des UDC, de jouer sans vergogne sur l’indécision populaire qui semble régner à propos de cette libre circulation et de cette immigration européenne. Avec, si l’on en croit les enquêtes d’opinion, 70% des personnes persuadées que sans libre circulation la Suisse manquerait de main-d’œuvre, mais avec aussi 62% souhaitant une limitation des flux en provenance de l’Union.

Même à l’intérieur de l’UDC, pourtant l’unanimité ne s’est pas faite autour de l’initiative anti-immigration. Certains ténors du parti, tous certes, au civil, représentants de l’économie, avaient dit dès le début le mal qu’ils en pensaient. En rappelant les apports positifs de la libre circulation et surtout en redoutant les rétorsions de l’UE.

L’UDC et son jusqu’au-boutisme anti européen semble pourtant avoir contaminé même les socialistes. En début d’année Christian Levraz avait cru malin de faire un mea culpa sur l’immigration. Les dénis en ce domaine, accumulés au long des années par le parti à la rose, pouvaient en effet laisser croire la démarche pas complètement inutile. Sauf que c’est encore à l’immigration européenne que s’en prend Levraz en souhaitant «une clause de sauvegarde plus efficace». Renouant ainsi avec les vieux démons d’une gauche qui a toujours préféré au plombier polonais, les dealers africains ou les bandits géorgiens. Eux effectivement ne risquent guère de venir secouer le marché du travail.