«Le talentueux Mr. Ripley» offre une image de l’homosexualité pleine de clichés qu’on croyait enterrés bien profond. En exaltant l’homoérotisme du livre originel, Anthony Minghella transforme son film en une fable politiquement correcte et démodée.
Amis du sous-entendu appuyé, de l’ellipse stabilobossée, de l’explication de texte pour cinéphile boutonneux, ce film est pour vous. Si vous allez voir «Le talentueux Mr. Ripley» d’Anthony Minghella et que vous ne saisissez pas son sous-texte homosexuel, de deux choses l’une: soit vous vous êtes endormi après 20 minutes devant cette montagne d’académisme, soit il vous faut courir chez un ophtalmo.
Oh, certes, officiellement, nous sommes dans un thriller inspiré d’un roman de Patricia Highsmith et déjà porté à l’écran par René Clément en 1959 («Plein Soleil»). Le film est donc sanglant et haletant. C’est l’histoire du jeune et pauvre Tom Ripley (Matt Damon), parti sur les traces du jeune et riche Dickie Greenleaf (Jude Law). Tom se lie d’amitié avec Dickie, le tue à mi-film puis endosse son identité – et ses chèques – , élimine quelques témoins gênants et enfin se débarrasse juste à temps de cette fausse identité.
Manifestement, ce n’est pas cette histoire-là qui a intéressé l’oscarisé Mr. Minghella. Lequel a préféré transformer le thriller en drame psychologique, faisant de ce qui restait sous-jacent et secondaire dans le bouquin le thème principal de son film. Et pour que ce détournement de thriller soit compris du spectateur moyen, le besogneux Mr. Minghella déploie des trésors d’ingéniosité cinématographique: regards bouche bée de Matt à Jude, baiser virtuel de Matt à Jude via leur reflet dans la vitre, regards gourmands de Matt quand Jude embouche goulûment son saxophone…
A mesure que le film avance, les crypto-clichés remplacent les images-symboles: ayant occis et remplacé Jude, Matt meuble son intérieur d’un buste antique et y joue du piano en peignoir de soie. Puis il se rend à l’opéra (un signe qui ne trompe pas) pour assister à une représentation d’«Eugène Onéguine», ouvrage ambigu composé par Tchaïkovski, homosexuel notoire. C’est là que Matt rencontre un autre garçon sensible, Peter. Ils échangeront des yeux de merlans frits, avant d’emménager dans une chapelle meublée par Laura Ashley et d’esquisser un remake de Titanic le temps d’une croisière qui ne s’amuse pas beaucoup.
Certes, le cinéma s’avère souvent passionnant lorsqu’il s’emploie à faire comprendre sans dire. Mais le non-dit au cinéma n’a pas attendu le melliflueux Mr. Minghella pour être illlustré par Bergman, Resnais ou même Ivory. Chez eux, ce qui reste informulé est montré de la manière la plus allusive possible. Ici, le non-dit est surexposé. Au point de friser l’homophobie.
Car les modifications que le consensuel Mr. Minghella impose au livre tendent à déresponsabiliser Ripley. S’il s’embarque dans cette aventure, c’est la faute d’une veste qu’un ami lui a prêtée. S’il tue Dickie, c’est sur un coup de sang, parce que Dickie lui a dit des choses méchantes. Rien de tel chez Highsmith, où Ripley prémédite son crime et parvient in extremis à sortir indemne de son temporaire changement d’identité et des quelques assassinats nécessaires. Le héros s’en porte même comme un charme: il hérite de la fortune de sa première victime tout en ayant commis le crime parfait – ce qui permettra à l’auteur de lui inventer de nouvelles aventures.
A l’inverse, le film se conclut sur l’image d’un Ripley souffrant et prostré. Tel Macbeth, le jeune fou est coincé dans l’engrenage infernal d’une série de crimes qui l’a conduit à tuer aussi le charmant Peter de la croisière, prélude à d’autres crimes avant une probable arrestation. On en vient à voir en Mr. Ripley une allégorie de l’homosexuel suivant des clichés qu’on croyait enterrés – du moins au cinéma: «l’inverti» comme un être condamné à la solitude, un psychopathe de l’étoffe dont on fait les serial-killer, vampirisant ceux qu’il aime et tuant les personnes qui l’aiment, un être faux qui mène une double vie et se voit interdire toute forme de bonheur. Le maladroit Mr. Minghella pensait sans doute faire preuve d’incorrection politique en exaltant l’homoérotisme du livre originel. Il finit par être encore plus politiquement correct qu’un film hollywoodien des années 50. Entre puritanisme dissimulé et fausse audace, il finit par se montrer aussi trouble que son héros.