Surexcités par l’élection américaine, qui aura lieu dans neuf mois, les médias occidentaux en oublient que la Russie va élire un nouveau président. Dans trois semaines.
Faucon ou démocrate-libéral? Vladimir Poutine sait en tout cas souffler le chaud et le froid. On a déjà pu apprécier la sanglante méthode choisie par le maître intérimaire du Kremlin pour régler les problèmes de minorités ethniques dans le Caucase. Et le voilà qui annonce vendredi dernier à la BBC, à l’occasion de sa première interview de chef d’Etat à un média étranger, qu’il «envisage une adhésion de la Russie à l’OTAN».
Il est peut-être prudent d’écouter Elena Bonner, veuve du fameux dissident et inventeur de la bombe H soviétique Andreï Sakharov. Selon elle, Vladimir Poutine supervise l’instauration d’un nouvel âge des ténèbres, une ère de «stalinisme modernisé». Son opinion a d’autant plus de poids qu’elle a été publiée dans le Moscow Times, quotidien moscovite en langue anglaise détenu à 100% par des capitaux étrangers. Or en ces temps de campagne électorale et de verrouillage de la presse, le Moscow Times représente, avec Radio Free Europe basée à Prague, l’une des dernières voix objectives à détailler l’instauration de ce qu’on appellera bientôt le «poutinisme».
Il n’y a pas si longtemps, en pleine dérive du tsar Boris, le favori de l’opinion publique russe s’appelait Alexandre Lebed. Général de l’Armée Rouge, Lebed avait fait toutes ses classes de commandant sur les marches de l’empire, s’illustrant notamment au début des années 90 dans la défense des intérêts russes en Moldavie. Lebed voulait devenir un Napoléon russe, homme fort dans un Etat fort. Il entendait rendre sa fierté à l’armée humiliée et mélanger, du point de vue économique, contrôle étatique et libéralisme. Son modèle? Un autre général: Pinochet. Et puis, Lebed est rentré dans le rang. Il n’est même pas candidat à l’élection présidentielle du 26 mars prochain.
Lebed n’est plus là pour se poser en Pinochet russe, mais à y regarder de plus près, Poutine a endossé son uniforme avec une stupéfiante décontraction. Voilà un homme qui, en l’espace de quelques mois, a redonné à son peuple l’espoir d’un avenir meilleur, basé sur la conviction d’un retour au premier plan de la Russie éternelle.
On foule aux pieds les droits de l’homme en Tchétchénie? Peu importe. La population a l’impression d’avoir trouvé son homme providentiel. Dans la tribune libre qu’ils ont cosignée avec Elena Bonner dans le Moscow Times, plusieurs défenseurs russes des droits de l’homme estiment que «sous Poutine, l’autoritarisme se fait plus dur, la société se militarise et le budget militaire augmente».
Plus inquiétant, les auteurs notent que l’administration est en train de recréer au sein de l’armée les unités spéciales du FSB (l’ex-KGB), les services secrets de surveillance domestique. Ils constatent également que l’on réintroduit l’éducation militaire dans les écoles et que le FSB recrute à tour de bras à la sortie des universités. «La propagande nationaliste et anti-occidentale ne cesse de s’étendre, tout comme l’activité des centrales de renseignement», concluent Elena Bonner et ses amis.
Celui qui remet ce vieux système au goût du jour, Vladimir Poutine, sera très probablement confirmé dans ses fonctions de président de la Fédération de Russie. L’Occident dit n’avoir rien à craindre de lui et d’ailleurs, les autres candidats ne sont pas nombreux. On trouvera le clown nationaliste Jirinovski, le leader des communistes Guennadi Ziouganov (qui peut compter sur 20-25% des suffrages, soit la «base» communiste, qui ne s’érode guère) et Grigori Iavlinksi, poulain dit démocrate et libéral qui ne se fait guère d’illusions sur ses chances de dépasser les 10%.
Les leaders politiques se pressent donc à la rencontre de Poutine, impatients de leur future collaboration. Ils ne chantent pas encore leur nouvelle amitié sur le mode «mon ami Vladimir», comme à l’époque de «mon ami Boris», mais cela ne saurait tarder. Sont-ils myopes ou simplement hypocrites? Ils font mine de ne pas sentir cette tenace odeur de nouvelle guerre froide qui plane dans l’atmosphère. Elle fera l’objet de notre prochaine chronique.