KAPITAL

Nyon: carrefour planétaire des concerts filmés

L’entreprise vaudoise iConcerts alimente les chaînes musicales du monde entier grâce à son modèle novateur. Rencontre avec sa fondatrice, l’étonnante Lettone Natalia Tsarkova.

Une rencontre avec Natalia Tsarkova laisse l’interlocuteur un peu abasourdi. La discussion – un quasi-monologue – va à cent à l’heure. L’accent slave heureusement amortit et fait ruisseler plutôt que cogner ce débit de mitraillette. On le sent bien, les idées fusent plus vite encore dans la tête de la présidente lettone d’iConcerts, qui retransmet depuis Nyon des vidéos de concerts partout dans le monde sur tous types de supports (téléphones, télévisions, ordinateurs, etc.).

Sa fille qui l’accompagne suit le même rythme. A peine solide sur ses jambes, elle baragouine déjà le russe, l’anglais, le français et le mandarin avec sa nounou. On aura retenu de ce tourbillon verbal une illumination et un rêve. Un jour de 1987 ou 1988, la perestroïka sème une graine dans l’esprit de la blonde Lettone. «J’ai découvert MTV et les clips musicaux. Cela n’avait rien à voir avec la télévision que je connaissais; j’étais fascinée.» La télévision et la culture jeune occidentale bouleversent son adolescence. Plus tard, c’est elle qui va révolutionner le média télévisuel.

Elle est la première à envoyer du bloc soviétique une candidature à Harvard. Elle y étudie les médias sociaux et le cinéma. Elle rencontre alors une professeure du MIT Media Lab, sorte de think tank du numérique d’où sont sorties la plupart des idées actuelles sur la convergence et le cross-média. «Je lui ai confié que je n’aimais pas la télévision telle qu’elle était à l’époque. Elle m’a dit que je n’avais qu’à créer une application qui réinvente la télévision.»

Quelques années après la sortie de l’école, en 2001, elle fait une nouvelle rencontre déterminante: Etienne Mirlesse, un producteur de concerts. En 2003, ils fondent, à Nyon, Transmedia Communications, une société de service de vidéos à la demande pour les télécoms. Pourquoi en Suisse? «Etienne y avait passé beaucoup d’années, il avait de nombreux contacts et l’environnement des télécoms était propice à notre développement.»

Pour alimenter leur fonds de commerce, ils achètent les droits des programmes de France Télévisions et de dessins animés. Rapidement, le catalogue comporte aussi beaucoup de concerts. «On s’est dit qu’il fallait valoriser ce matériau que personne ne commercialisait. Nous avons créé en 2005 la marque iConcerts. L’opérateur français Free nous a tout de suite suivis, ainsi que Bluewin TV qui vend les vidéos au prix de 2 fr. 50.»

Conçu à l’origine uniquement comme un fournisseur de VOD, iConcerts est aussi devenu, depuis 2008, une chaîne de télévision linéaire en HD, retransmise dans une trentaine de pays par le câble. «Cette idée d’Etienne allait contre mes convictions de télévision interactive, mais aujourd’hui je reconnais que c’est un élément important du dispositif.» La chaîne qui diffuse les performances live de milliers d’artistes allant du mainstream pop de Lady Gaga au rock érudit de Joe Satriani sert de vitrine aux activités VOD par un système de renvois.

Pas de pub

Sans revenus publicitaires – une ressource à laquelle Natalia Tsarkova commence seulement à réfléchir – la société a atteint l’équilibre financier l’an dernier et emploie une trentaine de personnes. Les perspectives de croissance s’annoncent radieuses: la chaîne iConcerts se développe à toute allure en Asie. «Nous commençons à émettre dans plus de 63 millions de foyers chinois, mais aussi à Singapour, en Indonésie et au Vietnam.» La Russie, c’est pour bientôt aussi. Pour ne pas diffuser un pudding aseptisé mondialisé, iConcerts lance même des franchises qui diffusent un contenu local.

Autre axe de développement, la téléconnexion, un système qui fonctionne grâce aux nouveaux téléviseurs internet. La chaîne devient alors une application directement accessible, de la même manière que YouTube ou la météo sur les téléphones intelligents. Un dispositif malin, huilé, parfaitement calibré pour l’époque, tout en étant dénué du cynisme du temps de cerveau disponible de la télévision linéaire. Avec iConcerts, le téléspectateur a le choix de sa plateforme, de son modèle et de ses programmes. Tel était le rêve d’une jeune Lettone grandie sous la perestroïka.

_______

Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.