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Nous vivons dans un monde crypté

Du téléphone mobile à la télévision numérique, les systèmes de communication modernes utilisent tous des procédés de cryptage afin de rendre inintelligibles les signaux envoyés à toute personne ne possédant pas le terminal approprié.

Depuis 2000 ans, les créateurs de codes (cryptographes) se sont évertués à protéger des secrets que les briseurs de codes (cryptanalystes) ont tout fait pour découvrir. Sommes-nous arrivés aujourd’hui à l’âge d’or de la cryptographie? L’informatique moderne annonce-t-elle la fin de cette course poursuite?

C’est l’avis de certains scientifiques, dont William Crowell, directeur adjoint de la National Security Agency (NSA) américaine: «A supposer que tous les ordinateurs personnels du monde – au nombre de 260 millions environ – soient mis au travail sur un seul message crypté selon le célèbre algorithme PGP, il faudrait un temps estimé à 12 millions de fois l’âge de l’univers pour décrypter un seul message.»

Pourtant, l’histoire montre que ce type d’affirmation reste risquée: de nombreux codes réputés inviolables ont, tôt ou tard, succombé à la perspicacité des décrypteurs.

Le brillant vulgarisateur qu’est Simon Singh (auteur à succès du «Dernier Théorème de Fermat») vient de publier une palpitante «Histoire des codes secret» (Ed. JC Lattès). On y découvre comment les mathématiciens, physiciens, linguistes, joueurs d’échecs, de bridge ou encore cruciverbistes ont participé à la création des stratagèmes de la communication cryptée, de l’Antiquité jusqu’à Internet.

Au fil des siècles, des codes de plus en plus sophistiqués ont été élaborés. Les moyens utilisés vont des statistiques à la linguistique, de la théorie de l’information à la théorie quantique en passant par les nombres premiers. Les codes ont influencé le cours de l’histoire, décidé de l’issue de batailles, causé la perte de monarques ou sauvé des milliers de vies humaines.

Aujourd’hui, nos appels téléphoniques passent par des satellites et nos e-mails transitent par des serveurs répartis sur la planète. Deux voies qui peuvent être infiltrées, et qui le sont vraisemblablement. La protection de notre vie privée (reconnue par l’article 12 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme) repose sur le cryptage de ces transmissions.

Dans le registre publique, comme le souligne le Rapport Brunner, les renseignements ne sont plus l’affaire des seuls militaires. On a dit que la Première guerre mondiale avait été la guerre des chimistes (gaz moutarde et chlore), que la Seconde avait été celle des physiciens (bombe atomique). La troisième serait celle des mathématiciens et des informaticiens qui contrôlent la prochaine arme de guerre déterminante: l’information. D’où la volonté de démilitariser les services de renseignements suisses.

Sur Internet, hackers et experts en sécurité informatique se livrent une éternelle bataille. Le 21e siècle verra-t-il une amélioration ou une destruction de la confidentialité? Dans le dernier chapitre de son ouvrage, Singh interroge: «Les mathématiciens créeront-ils un jour un code réellement impossible à décrypter, aboutissement de leur quête du secret absolu? Les pirates construiront-ils une machine capable de déchiffrer n’importe quel message?»

Pour le scientifique, c’est le développement de la cryptographie quantique qui changera la donne. Fondée sur la théorie quantique, en particulier le principe d’incertitude qui établit l’impossibilité de mesurer simultanément tous les paramètres d’un objet, la cryptographie quantique garantit un échange sécurisé de suites aléatoires de bits, qui seront ensuite utilisées comme base pour un chiffre jetable. Selon Singh, le cryptage quantique est réellement inattaquable. La sécurité qu’il offre est d’une nature différente de toutes les autres. Si un message protégé par un tel système devait être un jour déchiffré, cela signifierait que la théorie quantique est défectueuse, ce qui forcerait les physiciens à reconsidérer toute leur appréhension du monde.

«Si des systèmes de cryptographie quantique peuvent être mis au point pour opérer sur de longues distances, l’évolution des codes secrets cessera. La quête de la confidentialité sera parvenue à son terme. La technologie pourra garantir des communications sûres aux gouvernements, aux militaires, aux hommes d’affaires, ainsi qu’au public. La question est de savoir si on autorisera ou non l’usage de cette technologie. Comment les gouvernements réglementeront-ils la cryptographie quantique, de façon à enrichir l’âge de l’information sans protéger les criminels?», conclut le scientifique.