LATITUDES

L’infobésité, une menace pour la génération internet

Avec le développement du web et des réseaux sociaux, l’être humain consomme toujours plus d’informations. Certains experts craignent qu’il se noie dans les flots de données.

L’être humain croule sous les informations. Le volume qu’il reçoit chaque jour pourrait remplir 174 journaux. Et si toutes les données disponibles en 2007 à travers le monde étaient publiées, elles permettraient de recouvrir les Etats-Unis de 13 couches de livres. «Ce volume double tous les trois ans et quatre mois», précise Martin Hilbert, professeur à l’Université du Sud de la Californie et auteur d’une étude sur le volume des données que l’être humain entrepose, récemment publiée dans la revue Science.

Pour le chercheur, pas de doute: l’être humain souffre d’infobésité (information overload en anglais). Martin Hilbert ne s’inquiète pas pour autant: «Ce phénomène est aussi vieux que l’information, mais le cerveau humain s’adapte.

A l’époque de nos arrière-grands-parents, on lisait en moyenne une cinquantaine de livres dans une vie. Aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un étudiant lise 50 livres en un semestre. Et quand le volume d’informations nous dépasse, nous pouvons toujours compter sur l’intelligence artificielle, les ordinateurs et les moteurs de recherche que nous programmons pour nous aider à nous y retrouver.»

Pour Jonathan Spira, patron de Basex, une société qui calcule le coût de l’infobésité pour les entreprises, et auteur du livre «Overload», le fléau est réel. «L’année dernière, l’infobésité a coûté 997 milliards de dollars à l’économie américaine, affirme-t-il. Nous avons calculé ce montant en nous basant sur une réalité: les employés américains perdent 25% de leur journée à cause du trop-plein d’informations qu’ils reçoivent.»

Une étude réalisée en 2009 par trois chercheurs de l’Université de Stanford montre que les gens qui sont constamment en ligne et font plusieurs choses à la fois perdent plus facilement leur concentration. Le temps nécessaire pour retrouver son niveau de concentration est ensuite 10 à 15 fois plus élevé que le temps qu’a duré l’interruption. Jonathan Spira affirme que l’infobésité a un impact négatif sur la mémoire et sur la concentration. Il compare ce phénomène à une drogue: «Nous développons une tolérance à l’infobésité et nous avons besoin de toujours plus d’informations pour nous satisfaire.»

En 2008, les Américains consommaient de l’information près de douze heures par jour. C’est le résultat d’une étude dont Roger Bohn, professeur à l’Université de Californie San Diego, est le coauteur. «La consommation d’information est encore traditionnelle et vient en majorité de la télévision, dit-il. Mais les habitudes évoluent rapidement avec internet.»

Entre 1960 et 2005, l’offre d’informations disponibles aux Etats-Unis a été multipliée par 10, selon Russell Neuman, professeur de technologie média à l’Université du Michigan. Le chercheur affirme que l’être humain a su s’adapter à cette explosion: «La capacité de notre cerveau à filtrer les informations s’améliore toujours plus.» Roger Bohn n’est pas aussi convaincu: «Il est vrai que nous savons nous adapter, mais la question est de savoir dans quelle mesure. Face à l’explosion du volume d’informations, nous devons faire des sacrifices et sommes peut-être moins attentifs aux détails.»
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Une version de cet article est paru dans la revue Hémisphères, en vente en librairies.