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Des réseaux sociaux au printemps arabe

large120711.jpg«Révolution numérique», «révolution 2.0», «révolution Facebook». Depuis quelques mois, ces expressions reviennent en boucle lorsque sont évoquées les manifestations qui ont fait basculer le destin de la Tunisie et de l’Egypte. Comme si le réseau avait réussi à faire chuter deux dictateurs, faisant souffler un vent de liberté sur la toile, ainsi que l’espoir de voir se propager cette énergie libératrice dans toutes les autres dictatures. Après les exemples tunisien et égyptien, les appels à manifester sur le web se sont propagés à d’autres pays: Libye, Yémen, Bahreïn, Syrie, Irak, Maroc, Chine, ViêtNam…

«Les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans ces révolutions, affirme le sociologue Olivier Glassey, spécialiste des nouvelles technologies à l’Université de Lausanne. Facebook et Twitter ont fait office de caisse de résonance, amplifiant et répercutant les frustrations et revendications. Puis, ces outils ont permis de coordonner les manifestations, grâce aux appels à descendre dans la rue.»

«We are all Khaled Said». Cette page Facebook, lancée par Wael Ghonim à la mémoire d’un jeune homme torturé à mort par des policiers égyptiens, est ainsi devenue l’une des clés de la mobilisation du 25 janvier dernier. «Alors que les médias traditionnels contrôlés par le gouvernement ne parlaient pas de ce type d’événement, des pages comme «We are all Khaled Said», appelant à la mobilisation et à la révolte sont apparues. Internet s’est transformé, grâce aux réseaux sociaux, en un espace de liberté où chacun pouvait à la fois s’informer et communiquer, explique Olivier Glassey. Dans un pays sous surveillance permanente, il est important de s’apercevoir que d’autres personnes partagent votre opinion. Se sentir nombreux a certainement donné du courage aux révolutionnaires.»

Pour autant, parler de «révolution 2.0» est-il adéquat? En 2009, les médias occidentaux ont fait l’éloge du rôle libérateur d’internet en Iran — le New York Times titrant même «Les manifestants tirent des tweets face aux balles». Mais finalement, le régime contesté de Mahmoud Ahmadinejad se maintient. «Cela me paraît délicat de parler de «révolution internet», estime Olivier Glassey. C’est une vision occidentale de la situation qui voudrait qu’il s’agisse d’une révolte technologique. En fait, les révolutionnaires se sont servis de tous les moyens à leur disposition. Parmi eux, le bouche à oreille a joué un rôle sous-estimé.» En Egypte dès le lendemain de la manifestation du 25 janvier, l’accès à Twitter et à Facebook a été bloqué, puis le gouvernement a purement et simplement coupé l’accès à internet et aux téléphones portables dans tout le pays.

Malgré cette censure, les manifestations se sont poursuivies ce qui, selon le politologue spécialiste du Maghreb Ahmed Benani, démontre que «Facebook et Twitter n’ont pas fait la révolution. Ce sont des outils de communication qui ont simplement joué leur rôle. Derrière, il faut des hommes et des pensées pour aboutir à la chute d’un dictateur.»

«Ce ne sont pas des ordinateurs qui sont descendus dans la rue, mais des humains, confirme Fabrice Epelboin, ancien rédacteur du site ReadWriteWeb. En Egypte, Facebook a initié le mouvement qui a abouti à la manifestation du 25 janvier. En Tunisie, au contraire, les réseaux sociaux n’ont eu qu’un rôle tardif et secondaire. Celui de support opérationnel de la révolution.»

En effet, depuis les grèves de 2008 dans les mines de phosphate de Gafsa, les mobilisations se multipliaient en Tunisie. «Sur les réseaux, une cyber-résistance était en place depuis plusieurs années, poursuit Fabrice Epelboin. Mais les blogs d’opposants ont été systématiquement bloqués et leurs auteurs arrêtés.»

Slim Amamou, cyber-résistant tunisien de la première heure, a été emprisonné en mai 2010 pour avoir tenté d’organiser une manifestation via internet. Si la Tunisie possède un réseau développé, celui-ci était largement contrôlé par le gouvernement. «Le régime de Ben Ali a mené des opérations de phishing afin de récupérer les codes secrets des internautes activistes, explique Fabrice Epelboin. Par ailleurs, des trolls ont été utilisés pour pourrir les débats et faire de la désinformation.» Internet est une arme à double tranchant: outil libertaire, mais aussi de surveillance.

Dans son livre The Net Delusion, le chercheur Evgeny Morosov doute du rôle d’internet dans la démocratisation des pays en montrant que, si le net est utilisé par les dissidents il l’est aussi et surtout par les autorités afin de renforcer leur surveillance, mais aussi la propagande officielle. Selon Reporters sans frontières, 117 net-dissidents sont actuellement en prison, dont 77 en Chine, 17 au ViêtNam et 11 en Iran.
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Mohammed Nabbous (1983-2011) était un bloggeur et journaliste libyen. Au début de la guerre civile, il a fondé la division internet de la première télévision privée dans le territoire contrôlé par les rebelles. Il a été tué le 19 mars 2011, alors qu’il avait passé les dernières semaines de sa vie à attirer l’attention internationale sur le crise humanitaire de son pays.

Wael Ghonim, directeur de Google Middle East et administrateur de la page Facebook qui a lancé les manifestations égyptiennes, est devenu célèbre suite à son interview télé-­visée, dans laquelle il craquait après avoir enduré 11 jours de détention par la police.
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Une version de cet article est parue dans la Revue Hémisphères.