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La démocratie directe, je vote pour la supprimer

S’il est un sujet soumis au vote le 12 mars prochain et sur lequel tout ce que la Suisse compte de politiquement correct est unanime, c’est bien l’initiative «Pour une démocratie directe plus rapide». Elle a été lancée par Denner, elle est soutenue par l’UDC. Depuis quelques jours les encarts publicitaires vantant la démocratie directe envahissent nos journaux sous la signature de Karl Schweri, le fondateur de Denner qui dispose apparemment de beaucoup d’argent pour pratiquer son hobby politique.

L’initiative stipule que toute initiative présentée sous la forme d’un projet rédigé devrait être soumise au vote dans les douze mois suivant son dépôt. Le Conseil fédéral (suivi par les Chambres) estime que la brièveté de ce délai mettrait en danger la démocratie, en empêchant de vraies consultations des milieux intéressés. Il a surtout peur que des initiants, chevauchant un fort mouvement d’opinion, n’en viennent à proposer des mesures politiquement déstabilisantes.

Dans son rejet, le gouvernement s’appuie surtout sur les mesures qu’il affirme avoir prises pour éviter la «schubladisation» (en français fédéral: mise au tiroir) des initiatives: pour les initiatives déposées après le 31 mars 1997, le délai d’attente serait désormais de trois ans et trois mois au maximum. On verra. Il est de fait que cette initiative Denner n’attend que depuis deux ans et trois mois.

Mais il est aussi significatif de voir que les trois autres initiatives soumises au vote le 12 mars sont beaucoup plus vieilles! Le texte sur les quotas a germé dans les esprits féministes au lendemain de l’échec de Christiane Brunner au Conseil fédéral (février 1993). Déposée en mars 1995, elle attend depuis cinq ans. L’initiative sur la procréation attend elle depuis janvier 1994 et celle sur le trafic, depuis mars 1996. Et on ne sait toujours pas quand on votera sur l’initiative «Oui à l’Europe» déposée en 1996…
Si le Conseil fédéral avait vraiment voulu couper l’herbe sous les pieds de Denner et de l’UDC, n’aurait-il pas dû commencer par s’imposer le respect de la règle des trois ans et trois mois édictée en 1997?

En réalité le débat sur le temps d’attente des initiatives est biaisé parce que le sujet est soutenu par l’extrême droite. Plutôt que de lancer un vrai débat, les grands partis et le Conseil fédéral ont préféré le quitte ou double du rejet pur et simple. La gauche et les divers mouvements citoyens (consommateurs, écologistes, pacifistes, etc.) qui font un grand usage des initiatives et qui depuis toujours maugréent contre les effets de la schubladisation n’osent rejoindre Schweri et l’UDC sur un tel terrain.

Une chose me gêne dans ce refus de combattre: si l’on est partisan déterminé du droit d’initiative, il va de soi que Denner a raison. Il faut que les sujets soient traités rapidement car la politique exige toujours une certaine urgence. Un délai d’une année, en sachant que de toute manière il ne sera probablement jamais respecté, n’est donc pas exagéré. C’est donc un oui franc et massif que toutes les organisations qui une fois ou l’autre ont eu recours au droit d’initiative devraient déposer dans l’urne.

Reste le problème de fond: en cette veille de XXIe siècle, le droit d’initiative est-il encore défendable? Je ne le pense pas. Ce reliquat de démocratie directe permet de maintenir la fiction d’une idéologie «Y’en n’a point comme nous/Guillaume Tell-Général Guisan même combat» qui me paraît quelque peu désuète en cette époque de grand métissage et de globalisation accélérée.

Les Etats modernes ne peuvent fonctionner que par démocratie représentative. Rêver de limiter son horizon au clocher du village devient insensé quand les lieux de culte sont intégrés aux salles polyvalentes.

En ce domaine, mon tiercé gagnant idéal serait:
1) accepter l’initiative Denner;
2) déposer aussitôt une initiative demandant l’entrée de la Suisse dans l’Union européenne;
3) l’UE n’acceptant pas la démocratie directe, la question serait définitivement réglée.