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Un enthousiasmant cauchemar

Face à une Suisse UDC et primitive qui menace de faire sécession, une seule réponse s’impose: chiche!

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Un vrai rêve, imaginez-ça. La Suisse qui adhère à l’Union européenne, puis, de rage, dans la foulée, les Waldstaetten qui font sécession, comme au joli temps des Habsbourg.

C’est le scénario sérieusement présenté par six sections cantonales UDC de la Suisse primitive. Six, un de moins que les cantons conservateurs du Sonderbund qui s’étaient révoltés contre la Berne mécréante et radicale. Cette «nouvelle confédération» expliquent leurs initiants, tel le Lucernois Joseph Kunz, n’est pour l’instant que «symbolique», ce serait «juste au cas où», rien que pour rire en somme.

Mais quand même. Cet oasis de vieille suissitude dans un monde peuplé sans doute de jeunes vauriens colorés est sensé incarner — et là on ne plaisante plus — «l’esprit de résistance des cantons fondateurs».

Tant pis si le mythe est en un, justement, sans beaucoup de rapport avec l’Histoire. Tant pis si les Habsbourg n’existaient pas en 1291, comme le rappelle le professeur Thomas Maissen, de l’Université de Heidelberg, cité par «Le Temps» et auteur d’une «Histoire de la Suisse». Tant pis enfin si la vérité historique oblige à dire que les cantons se sont battus plus souvent entre eux que contre un ennemi étranger.

Oui, tant pis si l’essentiel pour ce mythe, comme pour tous les mythes, se résume à ce qu’il fonctionne. Réussisse à faire croire à une héroïque petite Suisse dressée vaillamment contre les grands méchants loups de partout et de toujours. L’empire autrichien avant-hier, l’Allemagne nazie hier et l’Union européenne aujourd’hui. On voit aussi que la nature même de l’ennemi n’a pas d’importance, pourvu qu’il soit gros et fort. Göring ou Barroso, c’est pareil, l’Allemagne nazie et la commission européenne, kif-kif.

Sauf que se sentir sans cesse tout petit et très héroïque, se voir soi-même en but à la vindicte universelle et en état de siège permanent, vous prépare mal à des défis contemporains qui requièrent exactement le contraire. De l’entregent et de l’humilité, du sang-froid plutôt que de la colère, un plus grand sens de la communauté humaine et moins d’esprit de clocher. Fût-il, ce clocher, appuyé aux saintes pentes du Gothard. Affronter en sourcilleux hommes des bois des problèmes aussi complexes que l’émigration, la mondialisation, le multiculturalisme, c’est signer d’avance pour un échec calamiteux.

On pourra relever aussi, une fois de plus, l’inoxydable arrogance d’un parti «qui décrète que seuls les électeurs UDC sont de vrais Suisses», comme le dénonçait récemment un sympathisant, un proche de Blocher passé au parti libéral-radical, l’avocat Martin Wagner. Qui pour le coup démissionne de son poste de président du Conseil d’administration de la Weltwoche, organe de presse de plus en plus proche de l’UDC.

Cette histoire de vrais Suisses appartient à un classique de toutes les dictatures, de gauche comme de droite. Jadis on distinguait aryens et racailles, citoyens modèles et vipères lubriques coupables du crime suprême d’antisoviétisme.

Chez nous, aujourd’hui, la distinction tourne même à la pantalonnade, si l’on considère l’image renvoyée par le citoyen lambda aux étrangers de plus en plus nombreux à s’aventurer dans la jungle pittoresque de la Confédération. Les guides pour expatriés fleurissent et présentent l’autochtone sous des traits pas vraiment rassurants: ponctuels, certes, les vrais Suisses, mais plutôt délateurs, tremblants devant l’autorité, pingres et mauvais voisins. Le fait de se regarder dans les yeux en levant son verre de blanc ne suffit plus à rehausser ce piteux tableau.

Aussi, avec sa déclaration du Grütli, avec l’évocation d’une Suisse européenne débarrassée de sa frange irréductible et primitive, de ses territoires les plus obscurément sylvestres, il ne reste plus qu’à dire merci à l’UDC de nous avoir fait rêver un instant. Même si ce fut avec ses propres cauchemars.