KAPITAL

Nyon: un essor (trop?) fulgurant

La région nyonnaise attire toujours plus d’entreprises et d’habitants. Au point que, comme dans les grands centres lémaniques, les loyers flambent et on s’y sent à l’étroit. Enquête.

Depuis le début des années 1980, Nyon connaît un essor impressionnant. Tant au niveau de sa population, qui a augmenté de plus de 50%, passant de 12’000 à 19’000 habitants, que du point de vue économique avec un cortège de nouvelles entreprises (comme l’assureur Generali ou le leader mondial des valves cardiaques Edwards Lifesciences) venues récemment s’y établir. Une situation qui lui permet de figurer parmi les villes les plus dynamiques du pays selon un récent classement de Credit Suisse. Et qui pose aussi problème: comme ailleurs sur l’Arc lémanique, on commence sérieusement à s’y sentir à l’étroit.

Fait révélateur, les loyers ont pris l’ascenseur, «jusqu’à s’établir à des niveaux comparables à ceux de Zurich», relève le syndic Daniel Rossellat. A la vente, les prix atteignent facilement le million de francs pour un 3-4 pièces de 100 m2. Et les logements en location à des prix accessibles deviennent, comme à Lausanne ou Genève, quasiment introuvables. Pour Daniel Rossellat, le moment est donc venu de «calmer le jeu». «Selon nos estimations, nous devrions investir entre 400 et 500 millions de francs sur dix ans pour rattraper le retard et répondre à tous ces nouveaux besoins. Cela représente des montants énormes alors que la ville ne touche qu’un tiers des retombées fiscales de ses nouveaux habitants…»

En ce qui concerne les infrastructures, Nyon souffre de plusieurs déficits, aussi bien en matière d’offre hôtelière que de centres de congrès ou de connexions routières. «Il faudrait également revoir le réseau de transports publics, la gestion des déchets et adapter notre offre socioculturelle», ajoute le syndic. Le risque étant selon lui de laisser les Nyonnais «historiques» sur le carreau: les entreprises nouvellement installées arrivent généralement avec la majorité du personnel constituant les postes les mieux rémunérés, le reste des emplois étant recrutés parmi la population locale ou frontalière. Une proportion qui met ensuite plusieurs années à s’équilibrer.

En découle un fâcheux déséquilibre en matière de mobilité, puisque les trois quarts des habitants de Nyon travaillent en dehors de la ville (soit 8’000 personnes sur un total de 12’000 places de travail). La pénurie de terrains n’arrange rien: «Si des entreprises locales veulent se développer, devront-elles le faire ailleurs?» s’interroge Daniel Rossellat, qui souhaite maintenir un certain équilibre au sein du tissu économique local en freinant la promotion exogène: à Nyon, sur 12’000 emplois recensés en 2008 (+20% par rapport à 2005), 0,5% se situait dans le primaire, 11% dans le secondaire et 88,5% dans le tertiaire.

Conscient de cette problématique, le Développement économique du canton de Vaud entreprend des efforts afin d’aiguiller certaines entreprises dans la région d’Yverdon et de son parc scientifique et technologique. «Mais beaucoup insistent pour être basées à proximité de l’aéroport de Genève et sont prêtes à y mettre le prix», souligne son directeur Jean-Frédéric Berthoud. Les dernières statistiques des chiffres de l’emploi dans la région nyonnaise témoignent de cet intérêt croissant: sur l’ensemble du district, on est passé de 27 000 employés en 2005 à plus 32 600 en 2008, soit une croissance de plus de 20%.

Parmi les solutions envisagées, le service d’urbanisme de la Ville prévoit la construction de 120 appartements d’ici à trois ans, dont une majorité de logements sociaux ou d’utilité publique. «Plus généralement, nous imposons 25% d’appartements d’utilité publique pour tout nouveau projet de construction d’envergure», souligne le municipal responsable Claude Dupertuis. En outre, des négociations sont effectuées avec les entreprises nouvellement installées afin d’établir avec elles un «plan de mobilité».

Certaines peuvent par exemple proposer des abonnements CFF, des facilités pour les repas de midi, voire des crèches afin de limiter les déplacements de leurs employés. Enfin, sans aller jusqu’à des projets de construction de gratte-ciel, du type de ceux évoqués du côté de Genève depuis des années, les quartiers du nord de la ville devront à l’avenir aller vers davantage de densification, avec une préférence pour les constructions en hauteur.

Un jour ou l’autre, une limite sera forcément atteinte en raison de la surface de terrains à disposition. D’ici là, les entreprises et les nouveaux habitants continuent d’affluer à Nyon. Outre une nuée d’agences immobilières et d’instituts de conseils financiers, la ville compte nombre d’ONG et de nouvelles entreprises actives dans le domaine des biotechnologies, de la microtechnique de pointe et des technologies de l’information et de la communication. Quel que soit le secteur, c’est avant tout la situation géographique centrale de la ville vaudoise que ces entreprises viennent chercher.

«Nous avons réuni nos deux centres d’activité de Genève, ainsi qu’un centre lausannois. Il était fondamental de trouver un lieu qui convienne aux collaborateurs de ces trois sites. Nyon s’est vite imposé. Et le terrain situé à deux minutes à pied de la gare a définitivement fait pencher la balance», relève Liliane Scherer, porte-parole de Generali, installé depuis 2007. Elle ajoute que la ville est très bien desservie par le train, les bus régionaux, «ainsi que par le bateau, emprunté chaque jour par nos frontaliers». La compagnie d’assurances compte à ce jour 530 employés sur ce site, pour une capacité totale de 600 places de travail.

Active dans la recherche de personnel, Mercuri Urval a démarré ses activités à Nyon il y a une quinzaine d’années déjà. Pour son directeur, Dimitri Djordjèvic, ce choix s’est imposé naturellement: «Genève et Vaud sont les deux cantons au plus fort potentiel pour nos activités. De plus, Nyon dispose de l’indicatif 022, ce qui donne l’impression aux Genevois de ne pas sortir de leur canton. Et pour les Vaudois, Nyon reste une commune vaudoise.» L’aspect fiscal n’a pas eu de grande incidence pour cette société d’une dizaine de collaborateurs: «Notre volume d’affaires ne présente pas la taille critique», relève Dimitri Djordjèvic, qui se réjouit de voir plusieurs établissements bancaires et financiers quitter Genève pour s’installer à Nyon, ce qui «était totalement inimaginable il y a quelques années encore».

Malgré les avantages et les charmes de la ville, il remarque que Nyon commence à ressentir les effets pervers de son dynamisme et de son attractivité. Un «décalage» essentiellement ressenti au niveau des infrastructures routières qui «souffrent déjà un peu, ce qui ne devrait pas s’améliorer avec l’implantation de nombre de sociétés sur le site de Terre Bonne, entre autres». La commune d’Eysins et son «Business Park» qui regroupe déjà Regus, numéro un des solutions d’espace de travail, ou le géant alimentaire Kraft, s’apprête à accueillir plusieurs nouvelles entreprises.

Patron de la manufacture Hublot (qui a connu un développement spectaculaire à Nyon), Jean-Claude Biver met lui aussi en avant la position géographique idéale «entre Lausanne et Genève, la vallée de Joux et Thonon», qui permet de «drainer du personnel sur un rayon de près de 80 km». Il ajoute: «Les impôts ne sont pas un facteur à négliger, surtout aujourd’hui où la concurrence et la force du franc nous obligent à réviser notre rentabilité.»

Quant au logement, il est devenu selon lui problématique dans tout l’Arc lémanique, «mais il semble tout de même que Nyon reste encore privilégié en la matière». Si bien que la société, qui compte actuellement 250 employés, projette une nouvelle extension importante de ses activités, allant probablement jusqu’à la construction d’une deuxième manufacture. Ce qui pourrait représenter, à terme, entre 40 et 80 emplois supplémentaires pour la région.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.