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Quand le yacht est plein…

La Suisse continue de craindre un afflux de réfugiés du printemps arabe et s’enferme dans un rigorisme bureaucratique inadapté. Même l’Italie de Berlusconi, pourtant réellement submergée, se montre plus pragmatique.

yacht.pngC’est un bien étrange et joli voyage que celui entrepris à Tunis par le chef de l’ODM (Office fédéral des migrations) Alard du Bois-Reymond et son acolyte Peter Maurer, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Bien sûr, si on assène d’entrée que depuis janvier et les premiers bourgeons du printemps arabe, le nombre de requérants d’asile a augmenté en Suisse de 50% par rapport à la même période l’an dernier, le risque est réel de sombrer vite dans le syndrome de la citadelle assiégée. D’imaginer des hordes à nos grilles et de ressortir la vieille et maritime métaphore de la barque trop pleine. Comme si la Suisse avait quelque chose d’une galère. Plutôt que la barque, ne faudrait-il pas proclamer, pour plus d’exactitude et moins d’hypocrisie, que le yacht est plein?

La dite barque s’allège d’ailleurs soudain drôlement si au lieu du froid, de l’abstrait pourcentage, on donne plutôt les chiffres réels et concrets. A savoir, en janvier, 44 demandes d’asile déposées par des citoyens tunisiens, à peine plus en février, 159 en mars, 111 entre le 1er et le 15 avril. Quant aux demandes émanant de ressortissants libyens ou égyptiens, elles se comptent pour l’heure sur les doigts d’une main. Loin, on le voit d’une traversée de la mer Rouge, ou des sept plaies locales.

Pas de quoi, en tout cas se précipiter ventre à terre à Tunis pour tenter d’enrayer un afflux tenant plus du ru que du fleuve. Surtout que dans le même temps et sans le moindre état d’âme, la Suisse a scrupuleusement appliqué les miraculeux accords de Dublin et a pu ainsi, rien qu’en mars, refouler 185 personnes vers une Italie pourtant réellement asphyxiée sous des arrivées quotidiennes de barques effectivement pleines. De vraies barques celles-là. Certaines poussent d’ailleurs le réalisme jusqu’à couler corps et biens. Corps surtout, les biens ne pesant pas lourd.

Une politique d’immigration menée donc à la baguette et à la calculette, reposant sur de vieux principes plus très adaptés aux réalités de 2011 et certainement pas aux aspirations démocratiques des foules arabes.

Quel sens par exemple peut bien avoir, appliquée aux demandeurs tunisiens, la sacro-sainte règle de refuser les demandes motivées par des considérations économiques? Face à des individus fuyant l’avènement de la démocratie ou profitant simplement du chaos de la transition pour sortir du pays, ne serait-ce pas plutôt le critère politique qui serait à bannir d’entrée? La même erreur avait été commise dans les années nonante, lorsque la Suisse avait ouvert ses frontières aux pires des islamistes algériens, sous prétexte qu’ils fuyaient le régime militaire et laïc d’Alger.

Notons enfin la réaction de l’Italie berlusconienne et sa décision d’accorder des permis de séjours temporaires en Europe aux Tunisiens débarqués sur ses côtes, pour qu’ils puissent rejoindre proches et familles, qui en France, qui ailleurs et certainement en Suisse pour quelques-uns. Une décision qui certes répond à des motivations très terre à terre — se débarrasser vite de ces gens-là — mais qui apparaît comme pragmatique et plutôt humaine si on la compare aux barricades électoralistes que la France de Sarkozy dresse à Vintimille, mais aussi aux frilosités bureaucratiques de la Suisse.

Le voyage de du Bois-Reymond à Tunis a été perçu là-bas comme un malencontreux signe de pusillanimité: quoi, l’un des pays les plus riches du monde, trembler devant quelques centaines de va-nu-pied…

Le piquant de l’affaire reste que si cette initiative de l’Italie risque effectivement de nous amener quelques réfugiés tunisiens supplémentaires, ce sera en violation de ces accords de Dublin qu’un parti comme l’UDC entend révoquer.

L’UDC, fauteur d’immigration? Bah, déjà qu’elle est un parti de milliardaires plébiscité par les classes les plus défavorisées, on n’en est plus à un type de schizophrénie près.