cialis proper dosage

Le mot du jour: flouter

«Flouter» les visages, c’est l’obsession printanière qui mobilise les gardiens de la sphère privée, y compris à Berne. Un joli mot qui fait oublier que l’électronique planétaire nous scanne en permanence.

Flouter: rendre volontairement flou. Floutage: opération consistant à rendre flou. Flou: adjectif ou nom masculin répandu dès le XVIIIe siècle en langue française, repris de l’ancien français flo qui signifiait «fatigué», à partir du latin flavus qui signifiait «jauni», d’où proviennent aussi les vocables actuels du genre «fané» voire «flétri». Parmi les exemples et les expressions en usage aujourd’hui: on floute un visage à l’écran pour préserver l’anonymat.

Voilà pour le pedigree linguistique et sémantique. Mais sur les plans sociopolitique et politico-psychologique, voire sociopolitique, c’est autre chose. C’est complexe. Une grande affaire. Un enjeu cardinal. Une mobilisation générale. Tenez, Hans-Peter Thür, le vaillant préposé confédéral à la protection des données: il assigne Google en justice au motif que les images de l’entreprise américaine laissent reconnaître, dans son inventaire des villes suisses, quelques visages sous-estompés. Scandale et consternation!

C’est ainsi que la thématique du flou dans notre pays a fini par constituer un dossier considérable. Je parle ici du flou d’ordre visuel, bien sûr, et pas du flou qui règne dans l’ordre politique. C’en est au point que les anecdotes les plus insignifiantes, celles qui impliquent les citoyens les plus humbles et les plus discrets, comme le président du FC Sion Christian Constantin dont un usager d’Internet vient de repérer le faciès sur les images de Google, surexcitent les médias de boulevard.

Ce tapage est d’autant plus amusant qu’il nous cache évidemment l’essentiel. Pendant que l’Administration fédérale se bat fièrement pour faire anonymiser notre visage de quidams urbains, la machine électronique planétaire passe tout le reste de notre personne au scanner. Elle analyse et mémorise nos comportements quotidiens, elle dessine notre profil de consommateurs, elle recense nos zigzags sur le Net pour nous situer dans une sphère marchande spécifique, elle analyse nos goûts, elle mesure notre tonus moral, et va jusqu’à dresser l’inventaire de nos tropismes politiques et citoyens.

De quoi méditer sur notre arriération mentale face à notre époque. Etre obsédé par le floutage des physionomies, c’est fétichiser de façon détournée les repères du village ancien, quand tout le monde observait chacun pour y déceler du Même, de l’Autre ou de l’Etranger. Et ne pas mesurer que ce floutage est une question dérisoire à l’aune du flicage universel qui nous transforme insensiblement tous en codes-barres, c’est porter la bêtise au rang du chef-d’œuvre.