GLOCAL

L’Occident ne veut pas voir les mains sales de Poutine

Les opérations militaires russes de «nettoyage» se poursuivent en Tchétchénie. A Moscou la semaine passée, le secrétaire général de l’OTAN George Robertson n’a pas parlé des exactions commises par les soldats de Vladimir Poutine.

Où s’arrête la diplomatie morale, où commence la realpolitik? On a pu applaudir ces dernières semaines la belle réaction d’orgueil de l’Union européenne au sujet de l’accession de ministres d’extrême-droite au gouvernement de Vienne. Longtemps atteinte de nanisme en matière de politique extérieure, l’Europe s’est «ingérée» dans les affaires internes de l’un de ses Etats membres pour rappeler quelle est sa définition de la démocratie.

L’intervention n’a pas eu tout l’effet escompté, puisque les zélotes de Jörg Haider occupent plusieurs strapontins ministériels. N’empêche, l’opprobre jetée par Bruxelles sur l’Autriche et son trou de mémoire a le mérite de maintenir une certaine pression sur ce gouvernement de la honte. Les 200’000 manifestants venus de tout le continent qui ont manifesté samedi sur la Heldenplatz de la cité danubienne témoignent de cette prise de conscience.

Il y a bientôt un an, c’est au nom de la même croisade morale que les chasseurs de l’OTAN pilonnaient la Yougoslavie de Slobodan Milosevic, accusée de crimes de guerre dans sa province du Kosovo à majorité albanaise. On dessinait alors les contours d’un nouveau monde, plus juste, où l’universalité des droits de l’homme justifierait les expéditions punitives militaro-humanitaires quand ceux-ci sont bafoués. D’une certaine manière, la «victoire» du Kosovo se traduisait par le triomphe du droit d’ingérence, idée-force défendue par Bernard Kouchner depuis le début des années soixante-dix.

En septembre 1999, la «communauté internationale» remettait ça au Timor-Oriental, province indonésienne séparatiste mutilée par les milices à la solde du pouvoir de Jakarta. Aussitôt dit, aussitôt fait: le général australien Cosgrove s’installait à Dili pour pacifier la zone, à nouveau sous la bannière universelle des droits de l’homme.

Et à Grozny? Depuis le début de l’opération russe de reprise en mains (août 1999), Moscou règle à sa manière ses questions de minorités nationales, sans que le club occidental montre la même détermination à condamner les exactions. Les témoignages récents sur les «camps de filtration», où la soldatesque russe a pour mission d’anéantir le moral d’un peuple réfugié (viols, mutilations, exécutions sommaires), si possible en lui enlevant définitivement l’envie de revenir un jour chez lui, sont tout aussi écœurants que ceux des habitants de Pristina, quand ils parvenaient, hébétés au terme de leur exode, dans le sinistre camp improvisé de Blace, à la frontière macédonienne. Les méthodes utilisées par les Russes sont presque identiques à celles des Serbes, mais les réactions qu’elle suscitent à l’Ouest sont très différentes.

George Robertson, le patron de l’Alliance Atlantique, était à Moscou la semaine dernière pour «restaurer» la relation OTAN-Russie, mise à mal par la guerre du Kosovo. Il a effleuré le dossier tchétchène du bout des lèvres. De son côté, Bill Clinton a déclaré que finalement, Poutine n’était pas un si mauvais bougre.

L’ancien guébiste a les mains sales, mais la communauté internationale s’en lave les siennes. Cette indignation à géométrie variable trouve son explication dans l’incertitude qui s’est ouverte à Moscou le 31 décembre 1999 avec la démission surprise de Boris Eltsine. Avec qui traiter au Kremlin?

Ni Paris, ni Londres, ni Berlin ni Washington ne connaissait Vladimir Poutine. En quelques semaines, ils ont pu se faire une idée assez précise du pedigree de l’animal. «Les terroristes tchétchènes, nous les buterons jusque dans les chiottes s’il le faut», déclarait Poutine, encore Premier ministre, au début de l’offensive russe. Il avait promis de reprendre la république rebelle, dans un bain de sang si nécessaire. Il a tenu sa promesse. On comprend presque Clinton et compagnie: il faut être inconscient pour contrarier un tueur en campagne électorale.

——-
Les troupes russes parachèvent actuellement leur reconquête. Moscou a promis dimanche une fin prochaine de l’opération militaire, tout en qualifiant d’«inacceptables» les critiques émises samedi par Mary Robinson, le Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Elle avait demandé à la Russie de permettre l’entrée d’observateurs en Tchétchénie pour enquêter sur les droits de l’homme, face «à des preuves de plus en plus évidentes de violations sérieuses».