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Patates et 4X4

A chaque peuple sa lutte contre un pouvoir prévaricateur. Chez nous, ce sont les conducteurs de grosses bagnoles qu’on étrangle. Avec ou sans l’essence de Kadhafi.

Swisspatat va donc importer, avec la bénédiction de nos autorités, 5’000 tonnes de pommes de terre égyptiennes. La révolution des bords du Nil aura eu, entre mille et un autres bienfaits, celui de faire connaître cette admirable structure restée trop souvent dans l’ombre: Swisspatat.

Une interprofession que le Conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann a dû défendre devant des parlementaires qui s’inquiétaient de ces emplettes égyptiennes. Si l’Office fédéral de l’agriculture a donné son feu vert, a-t-il expliqué, c’est en vertu d’un accord bilatéral datant de 2007. Ouf. Nous l’avons échappé belle, à deux doigts de passer pour les affameurs de la révolution égyptienne.

La Tunisie maintenant. Rien cette semaine. Ah si, un Tunisien condamné à Neuchâtel pour un poème à la gloire des ceintures d’explosifs, commis sur le net. Oui mais condamné avec sursis — 90 jours amendes — pendant deux ans, pour incitation publique au crime ou à la violence, en vertu de l’article 259 du code pénal.

Là encore, ouf-ouf. La justice neuchâteloise a évité le piège d’une véritable condamnation: ce n’était vraiment pas le moment de se fabriquer une réputation d’islamophobie, surtout sur le dos d’un honnête citoyen tunisien n’aspirant sans doute, au fond de lui-même, et comme tous ses compatriotes, qu’aux grands idéaux de liberté et de démocratie.

La Libye enfin. Ah nos bons amis libyens. OK, c’est peut-être avec un léger, très léger temps de retard que la présidente Calmy-Rey roule des mécaniques et menace Kadhafi de cour internationale, comme la grêle après les vendanges. Mais elle a pu du moins rassurer son collègue du PS genevois Carlo Sommaruga qui s’interrogeait sur les profits de Tamoil en Suisse. La présidente a expliqué qu’une ordonnance avait été prise «vendredi» qui empêchait dorénavant que les avoirs de Tamoil n’aillent engraisser le clan Kadhafi. C’était donc si simple, et pendant toutes ces années on ne s’en était même pas aperçu.

Soyons juste: cette façon distante et prudente d’appréhender les révolutions qui ont lieu ailleurs fait sans doute partie des gènes suisses. Les gènes d’un peuple honnête, travailleur et qui contrairement à beaucoup d’autres sait se contenter de rêves et de plaisirs simples. Ces rêves et ces plaisirs, si l’en en croit les sénateurs Jean-René Fournier (PDC) et Jean-François Rime (UDC), tiennent en un mot: voiture. Ou plutôt en deux: grosse voiture. Non, à la réflexion, trois: belle grosse voiture.

A l’occasion de l’examen par le Conseil des Etats du contreprojet à l’initiative verte anti 4X4, le Valaisan l’affirme: «Je comprends l’engouement pour les belles voitures. Elles flattent notre besoin de rêve.» Et le Gruyérien le confirme: «La voiture, c’est la liberté, le plaisir.»

D’ailleurs c’est bien simple: 28% des voitures achetées en Suisse en 2010 étaient des 4X4. Le contreprojet du Conseil fédéral, plutôt que l’interdiction pure et simple qu’exige l’initiative, plutôt que de casser cet engouement pour des véhicules dangereux et gros émetteurs de C02, propose un léger freinage.

Avec un système d’amendes pénalisant importateurs et constructeurs. Les 4X4 coûteront donc un peu plus cher à des automobilistes qui n’ont souvent pas le choix et se retrouvent un peu pris en otages. Comme le montrent de bouleversants témoignages recueillis par «24 heures».

Celui du conducteur Fournier par exemple: «J’en ai besoin, je vais souvent faire de la peau de phoque ou marcher en montagne.» Ou celui du conducteur Rime: «Je suis grand et gros et j’aime être bien assis.» Le contre-projet, du moins, permettra encore aux 4X4 de sillonner nos monts et nos campagnes, en étendards bruyants de libertés qui nous ressemblent. Avec de la bonne essence sans plomb ni Kadhafi.