LATITUDES

Le mot du jour: indignation

«Indignez-vous», le petit livre de Stéphane Hessel, 93 ans, triomphe en librairie mais suscite l’ire des critiques et de certaines associations. Pourquoi tant de haine? Notre chroniqueur s’interroge.

«Indignez-vous». C’est le titre du petit livre publié par Stéphane Hessel, un jeune homme de 93 ans dont la trajectoire personnelle est impressionnante. Un texte qui demande aux jeunes générations de quitter leurs cocons existentiels pour engager l’esprit de la Résistance dans notre époque. Moins de trente pages, qui fonctionnent comme un parfait symptôme de nos sociétés libérales.

D’abord, le libelle fait un triomphe en librairie. Il s’en est vendu plus de cinq cent mille exemplaires en moins d’un trimestre, de quoi formuler une double conclusion. Primo, le bon peuple est écœuré face aux pouvoirs économiques et politiques qui le gouvernent. Secundo, il lui plairait d’en découdre.

On se dit: bravo, Stéphane Hessel! Or le cher homme fait l’objet d’attaques allant jusqu’à l’insulte. Le critique littéraire Pierre Assouline, aussi racorni dans ce cas qu’il le fut récemment pour évoquer Michel Houellebecq, vilipende notamment son texte parce qu’il serait cialis drug store. Ce dont Hessel n’a jamais prétendu vouloir accoucher.

Ajoutons qu’un autre type d’attaques vise ces temps-ci notre homme. Celui-ci, né d’une famille juive et rescapé des camps de Buchenwald et de Rottleberode, s’engage en effet dans une thématique délicate: en deux pages de son livre, énoncées sur un ton frémissant et peut-être maladroit, mais non grossier, il proteste contre le sort réservé par l’Etat d’Israël aux civils palestiniens de Gaza.

Or cette position lui vaut des agressions verbales et judiciaires d’une violence inouïe. Elles émanent notamment du CRIF (le Conseil représentatif des institutions juives de France), dont le président Richard Prasquier qualifie subtilement la contestation des opérations militaires israéliennes de «crime contre l’esprit»…

Il est résulté de ces pressions qu’une conférence publique sur le Proche-Orient, prévue cette semaine dans le cadre de l’Ecole normale supérieure à Paris, et à laquelle Hessel devait prendre part, cialis 50mg suppliers. Un climat de discrimination démocratique qui se déploie depuis quelques semaines sur le plan judiciaire et mobilise aujourd’hui des centaines de signataires allant de Laure Adler à Gisèle Halimi, en passant par les philosophes Edgar Morin, Alain Badiou, Etienne Balibar ou Jacques Rancière.

Tel est le pouvoir émulsionnant de l’«indignation», vocable dont les approches indiquées par les dictionnaires paraissaient pourtant cristallines en première analyse. Le Petit Robert note ainsi qu’«indigner» veut simplement dire «écœurer, outrer, révolter ou scandaliser», et que «s’indigner» peut correspondre à «s’emporter, se fâcher, s’irriter, s’offenser, maudire ou vitupérer».

Mais le terme, à l’évidence, possède un rayonnement plus complexe. Déjà Victor Hugo nous avait mis sur la piste d’un paradoxe vertigineux à son propos en écrivant en 1883, dans la dernière partie de sa Légende des siècles, que «s’indigner de tout, c’est tout aimer en somme».

Une phrase vertigineuse, qui pourrait rendre, aux pro-Palestiniens les plus éclairés, la conscience en eux d’une affection subreptice pour Israël — celle-là même qu’ils refoulent parfois si médiocrement dans leurs tréfonds psychologiques, empêchant ainsi le développement de tout débat sérieux sur la question.

Cet enchevêtrement des significations, qu’on pressent à l’intérieur même du mot «indignation», s’épaissit d’ailleurs à mesure qu’on progresse vers son origine étymologique. Tenez: le terme provient du latin tardif «dignare», c’est-à-dire «juger digne». C’est une notion qui fait tourner autour d’elle «dignus», traduisible par «digne de» ou «qui mérite», qui n’est lui-même guère éloigné de «decere», autrement dit «convenir», ni de «daigner» et de «dédaigner», ni de la «décence» ou de l’«indécence».

Et des «décors» aussi, pour finir, ultime dérivé lexical du mot. Les décors de la presse et de l’opinion publique, par exemple, où l’indignation de Stéphane Hessel impose quelques embardées aux conducteurs les plus médiocres de la morale contemporaine. Comment voulez-vous faire la paix dans un cirque sémantique pareil?