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Le torticolis de la femme UDC

Pas toujours simple de militer dans un parti qui promeut l’image de la ménagère et l’amour des armes à feu. Les âmes féministes et sensibles du blochérisme ont heureusement le droit d’avoir peur des couteaux de racaille.

large190111.jpgFemme UDC, c’est un métier compliqué. D’abord il faut faire avec Ueli Maurer, patron de la défense. Un homme qui tire à vue. Par exemple sur les femmes, qui semblent vouloir se prononcer très majoritairement en faveur de l’initiative visant à bannir de nos foyers les armes d’ordonnance.

Il ne peut y avoir en effet, selon lui, qu’une raison, une seule, à cet absurde et féminin rejet du fusil d’assaut, inoffensive pétoire rouillée reposant à la cave entre les confitures de groseille et les réserves de Cenovis: les femmes n’y connaissent rien. Les armes et les femmes, chacun le sait, ça fait deux. C’est comme la voiture, le travail, la politique et les études.

Tout cela, faut-il le répéter, fait partie de l’évangile UDC, d’une cohérence rare lorsqu’il s’agit de la gent féminine. La ligne, en gros, consiste à ne rien lâcher. Mais alors ce qui s’appelle rien. L’assurance maternité? C’est nein. L’égalité des salaires? Vous voulez rire. L’augmentation des crèches? Cause toujours. La solution des délais? Pfui!

Une ligne que Maurer, bon père de famille nombreuse, résume à coups de fortes métaphores variant autour de cette image de base, qui sent bon son Oberland zurichois: «Dans la nature c’est la vache qui s’occupe du veau, pas le taureau».

Ces belles convictions, martelées sans relâche par la plupart des caciques du parti, expliquent peut-être pourquoi, de ce côté-ci de la Sarine en tout cas, les ténors UDC sont essentiellement des hommes. Pourquoi chez ces gens-là on est plutôt anneau dans le nez que grosse cloche.

Certes, en Suisse alémanique, il y a bien l’accorte schtroumpfette Natalie Rickli et la slovaque de choc Yvette Estermann, qui ont réussi à faire leur trou médiatique au sein des viriles hordes blochériennes.

L’exercice reste pourtant périlleux, et à manier à longueur de journée des concepts aussi gorgés de testostérone que ceux de l’UDC, on risque de s’emmêler les escarpins. Prenez l’UDC bernoise Andrea Geissbühler, qui milite pour l’interdiction du couteau dans les rues.

Il faut dire que, policière, elle semble savoir de quoi elle cause: «Enormément de jeunes portent un couteau sur eux lorsqu’ils sont de sortie. Ils nous disent qu’ils doivent pouvoir se défendre.» Tiens, tiens, exactement le même type d’arguments qu’emploie l’UDC pour combattre l’initiative contre les fusils d’assaut: ne pas laisser aux criminels le monopole des armes, ne pas laisser l’honnête citoyen sans défense, un citoyen qui a bien le droit d’assurer sa sécurité et celle de sa famille.

Oui, mais voilà, il y a une grande différence. Non pas entre les armes elles-mêmes — un couteau à priori semble moins dangereux qu’un fusil d’assaut, on ne verrait pas pourquoi interdire l’un et chanter les vertus de l’autre. Non, ce qui change tout, ce sont les utilisateurs. Face à l’exemplaire citoyen-soldat, forcément responsable lorsqu’il manipule son fusil d’assaut, les détenteurs de couteaux eux font vraiment peur. Il suffit d’écouter Frau Geissbühler: «En règle générale ce sont des étrangers, des Turcs et des personnes de l’ex-Yougoslavie. Ils sont très susceptibles.» Brrr.

Cette répulsion très féminine envers les armes blanches a pour conséquence que voilà madame Geissbühler sur la même longueur d’ondes que la socialiste zurichoise Chantal Galladé, affirmant que «les couteaux n’ont rien à faire dans la rue. Exactement comme les armes militaires n’ont rien à faire à la maison!».

Aïe, ça se complique. Messieurs les égorgeurs sont donc priés d’oeuvrer à domicile tandis que les tireurs fous, eux, ne devraient exercer leurs talents qu’en plein air. Oui, ça se complique pour la femme UDC, contrainte de regarder toujours derrière, vers un passé idyllique et vertueux quand l’œil est attiré à gauche, à droite, en avant, suivant les humeurs et circonstances. Torticolis garanti. Surtout que voici aussi Yvan Perrin qui entre dans la danse des surins. L’inspecteur est catégorique: «Il faut punir le simple port du couteau à l’extérieur.»

Ce n’est peut-être pas, dans le fond, être une femme UDC qui est tellement compliqué, mais tout simplement être UDC. Surtout que les militantes agrariennes auront au moins cette consolation: se dire que le rôle de vache n’est pas si dévalorisant.

Papa Maurer d’ailleurs, quand les paysans d’Adelboden lui en ont offert une, l’an dernier, n’a-t-il pas décrété que «la possession d‘une vache est pour ainsi dire un but dans la vie. C’est presque comme le mariage». Meuh oui, madame.