Popularisés par Facebook, les jeux offrant une forte dimension communautaire séduisent une nouvelle clientèle, notamment féminine. Ce secteur se tourne désormais vers les terminaux mobiles. Enquête.
Le cliché du joueur compulsif — un adolescent boutonneux seul dans sa chambre, manette à la main, les yeux rivés sur son écran — a du plomb dans l’aile. En l’espace de quelques mois, les jeux dits sociaux se sont imposés, séduisant au passage une nouvelle clientèle.
«Via des plateformes d’échanges comme Facebook ou MySpace, les jeux sociaux proposent une forte dimension communautaire, explique Guillaume Berthet, de la société d’édition de jeux française Kobojo. Les joueurs peuvent interagir avec leurs amis, les inviter à jouer, comparer les scores, les défier ou les aider.»
Tous ces jeux possèdent des caractéristiques similaires: gratuité, graphismes rudimentaires, règles assez simples et possibilité de jouer tous les jours sans pour autant passer des heures devant son écran. «En moyenne, les utilisateurs de nos jeux y passent entre 20 et 30 minutes par jour, poursuit Guillaume Berthet. Cela correspond davantage à une petite pause au boulot qu’à une longue partie.» En outre, pas besoin pour la communauté de se retrouver au même moment sur la toile: la mécanique asynchrone permet de jouer ensemble à des heures différentes.
Ce type de jeux existe depuis plusieurs années, mais leur véritable envol correspond à celui réseau social Facebook. «Certains jeux sociaux se pratiquent via les navigateurs. Plusieurs acteurs comme Ankama ou Bigpoint ont bâti leur réputation sur ce type de modèle, précise Guillaume Berthet. Mais c’est vraiment grâce à Facebook que ce type de logiciel a conquis un vaste public.»
Ainsi, début 2010 à San Francisco, les participants de la Game Developper Conference (l’un des plus grands événements de l’industrie du jeu vidéo) n’avaient qu’un seul mot à la bouche: Facebook. Le réseau social le plus populaire du monde se révèle être le nouvel eldorado du jeu. Selon Facebook, 20% des plus de 350 millions de personnes actives sur le réseau y jouent. Un potentiel immense.
«Il s’agit d’un marché de masse, où la diffusion d’un produit peut aller très vite, par effet viral, souligne Guillaume Berthet. Un utilisateur apprécie le produit, invite ses connaissances à y jouer et ainsi de suite, ce qui entraîne un développement exponentiel.»
L’application la plus utilisée sur Facebook est un jeu, Farmville, qui compte aujourd’hui 60 millions d’adeptes dans le monde, un an seulement après son lancement. «Le phénomène se développe à vitesse grand V. En à peine un an, notre jeu le plus populaire, Goobox, a été téléchargé 12 millions de fois et compte 3 millions d’utilisateurs par mois. Peu de jeux vidéo classiques peuvent se prévaloir d’une telle audience.»
Les jeux sociaux réussissent à conquérir une vaste clientèle, essentiellement féminine. «Parmi nos utilisateurs, 60% sont des femmes, dont l’âge oscille entre 25 et 45 ans. On retrouve des profils similaires chez nos concurrents, note Guillaume Berthet. La plupart d’entre elles ne se considèrent d’ailleurs pas comme des joueuses.»
Le modèle économique repose sur deux piliers: la publicité et les biens virtuels. «La publicité est assez problématique parce qu’elle n’encourage pas le client à revenir jouer sur la plateforme, souligne Guillaume Berthet. Si des fenêtres de pop-up s’ouvrent en permanence, le joueur sera agacé et abandonnera sa partie.»
Après avoir débuté avec la publicité comme seul revenu, Kobojo se réoriente aujourd’hui vers les biens virtuels. Concrètement pour quelques francs, un joueur peut améliorer ses performances ou accélérer sa progression. Dans un jeu comme Farmville, dont le but est de construire et d’entretenir une ferme, l’utilisateur peut acheter de l’engrais, des graines ou un tracteur afin de booster la productivité de ses cultures.
Aux Etats-Unis, le marché des biens virtuels devrait atteindre 2,1 milliards de dollars en 2011 contre 1,6 milliard en 2010, selon une étude publiée par le cabinet Inside Network et rapportée par le New York Times. «5 à 10% des joueurs décident d’acheter des biens virtuels, note Guillaume Berthet. Compte tenu du nombre de joueurs, cela représente des sommes énormes.» En 2009, l’éditeur Zynga a ainsi généré un chiffre d’affaires de 200 millions de dollars.
Mais Facebook est le grand gagnant. La société de Mark Zuckerberg encourage vivement les développeurs tiers à utiliser ses Facebook Credits, la monnaie virtuelle du site. Sur chaque transaction, le géant américain s’octroie 30% du montant, soit 835 millions de dollars l’année dernière.
«L’émergence de monnaies virtuelles, achetées avec de l’argent bien réel, est une évolution majeure dans le domaine des jeux sociaux, estime Stéphane Koch, spécialiste des stratégies numériques et des réseaux sociaux. Cela permet aux éditeurs de jeux de gagner de l’argent, mais aussi à d’autres acteurs de vendre des produits directement sur les réseaux, et de les fidéliser.»
Fidélisation des clients et gains astronomiques: deux raisons qui ont conduit les acteurs historiques à s’intéresser aux jeux sociaux. En 2009, Electronic Arts a racheté pour 400 millions de dollars Playfish, une start-up américaine qui édite Pet society — un jeu où 12 millions de personnes s’occupent d’animaux. Google a investi 100 millions de dollars dans l’éditeur Zynga, actuel leader du marché, tandis que, fin juillet 2010, l’ogre Disney a englouti Playdom, numéro trois du jeu social.
Président-directeur général de la Walt Disney Company, Robert Iger a été très clair au sujet des motifs de ce rachat: «Nous percevons un gros potentiel de croissance. Nous voulons renforcer notre gamme de jeux en ligne et offrir à nos clients de nouvelles façons d’interagir avec Disney sur les réseaux sociaux populaires comme Facebook et MySpace.»
Après avoir conquis la toile, les jeux sociaux poursuivent leur développement vers les terminaux mobiles, un bon moyen de rester en contact avec sa communauté en permanence. Zynga a ainsi lancé Farmville sur iPhone, iPod Touch et iPad, en 2010. «Les téléphones mobiles sont une très bonne plateforme pour prolonger l’expérience que nous avons acquise sur le web, estime Guillaume Berthet de Kobojo. Cela permet de déplacer vers une nouvelle plateforme une communauté déjà créée et donc de la conserver plus longtemps.»
«La mobilité va offrir de très nombreuses nouvelles opportunités», poursuit Guillaume Berthet. Exemple le plus connu: Foursquare, une application lancée fin 2009 qui serait «un mélange entre un réseau d’amis, un guide social et un jeu qui vous récompense pour les choses intéressantes que vous faites», selon la définition de ses créateurs, deux post-adolescents américains portés sur la fête.
Via son smartphone, l’utilisateur fait savoir à ses amis où il se trouve. Chaque pointage est vérifié par géolocalisation et vaut des points et, au final, l’attribution de badges. Ceux-ci permettent de devenir «maire» d’un lieu, à savoir des avantages concrets (réduction de prix, boissons gratuites, etc.).
«Il y a un côté ludique à Foursquare, mais ce n’est pas un jeu, estime Stéphane Koch. Au début, je me battais avec mes amis et les autres utilisateurs pour devenir maire des endroits qui me plaisent. Mais maintenant, j’emploie cette applications plutôt comme un réseau social, pour dire à mes amis où je me trouve ou pour leur recommander un lieu.» Pour gagner, le joueur doit donc se déplacer et consommer dans la réalité.
Un modèle similaire basé sur la géolocalisation est suivi par Gbanga. La start-up zurichoise développe Famiglia, un jeu de mafia sur mobile qui mélange sociabilité, réalité et fiction. Pour engranger des points, chaque joueur doit conquérir les bars et restaurants de sa propre ville. Impossible donc de rester enfermé dans sa chambre.
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L’arrivée de la réalité augmentée
La réalité augmentée débarque également sur les terminaux mobiles, à l’exemple du quadricoptère, développé par la société français Parrot: un avion télécommandé connecté à l’iPhone par une connexion Wi-Fi. «Notre drone intègre de nombreux capteurs dont une caméra frontale, une caméra verticale et un altimètre à ultrason», énumère Eva Lekic, porte-parole de Parrot. Plus qu’un simple avion télécommandé, il fait entrer l’iPhone dans la réalité augmentée, qui est utilisée dans un jeu de combat aérien pour modéliser sur l’écran de l’iPhone des tirs de missiles — heureusement, qui n’existent pas dans la réalité.
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Une version de cet article a été publiée dans le magazine Reflex.