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Livres numériques: les éditeurs romands se lancent

Des milliers de livres romands vont arriver d’un coup sur le marché en version électronique. Ils pourront être téléchargés à moindre frais depuis une plateforme internet unique, baptisée e-readers.ch. Une vraie révolution pour le secteur. Résumé des principaux enjeux.

large100810.jpgLe marché romand du livre prend le train de la révolution numérique. Grâce au site internet e-readers.ch, une plateforme unique mise en place par l’Office du livre (OLF), les lecteurs pourront bientôt télécharger des ouvrages en version électronique. L’ouverture du site au public est prévue pour la rentrée.

Pour l’acheteur, cette innovation a comme première conséquence de faire baisser le prix des livres, de 20% en moyenne. Quelques clics suffisent à passer commande et à télécharger le fichier désiré au format Epub (l’actuel format standard pour les livres électroniques, acronyme de «publication électronique»). Si le contenu peut-être consulté aisément sur un ordinateur, c’est évidemment avec une tablette, telle que le Kindle d’Amazon ou l’iPad d’Apple, que ce nouveau mode de lecture prend tout son sens. L’immense succès rencontré par l’iPad depuis son lancement cet été semble d’ailleurs indiquer que le marché est mûr. Les éditeurs l’ont compris et se décident enfin à ajuster leur offre.

«Il y a seulement une année, la méfiance et l’attentisme étaient de mise parmi les éditeurs et les libraires romands. Mais aujourd’hui, presque tout le monde perçoit la nécessiter d’y aller», constate Patrice Fehlmann, directeur de l’OLF. Pour rappel, la société basée à Fribourg est à ce jour le plus grand distributeur de livres en Suisse. C’est dire si le modèle économique de l’OLF dépend directement de la survie physique des librairies… L’enjeu consistait donc, tout en entrant dans l’ère du numérique, à développer un concept qui protège — autant que possible — les libraires. Concrètement, la commande de chaque internaute est liée à la librairie de son choix, laquelle perçoit automatiquement une commission sur la vente, de l’ordre de 25% du prix. Et si l’acheteur ne souhaite désigner aucune librairie en particulier, c’est l’enseigne la plus proche de son domicile qui bénéficie de la commission. Ce mode de fonctionnement original distingue e-readers.ch des géants mondialiés tels qu’Amazon.com et autre e-book store d’Apple, d’où les libraires sont totalement exclus.

«Notre plateforme n’a pas pour vocation de s’opposer aux géants de la vente en ligne, détaille Patrice Fehlmann. Nous sommes beaucoup trop petits pour cela. Le sens de notre démarche, c’est de donner aux libraires locaux la possibilité d’exister, en préservant du même coup la diversité culturelle. Cela revient à dire aux lecteurs: si vous voulez du numérique, achetez-le sur une plateforme qui se soucie de la survie de votre librairie! La librairie en question pourra ainsi continuer à assurer la promotion et la vente du format papier, dans l’intérêt commun de l’éditeur, du distributeur et du libraire.»

E-readers.ch propose 30’000 livres à télécharger, dont 5’000 ouvrages en français, 5’000 en allemand et 20’000 en anglais. La présence au lancement de deux poids lourds de l’édition française, Gallimard et Seuil, confère d’emblée une crédibilité appréciable à la plateforme. La plupart des éditeurs romands, à l’instar de Labor et Fides, Favre ou encore la Joie de Lire, font partie de l’aventure. Les libraires (dont les géants Payot et Fnac) ont donc décidé de suivre le mouvement, même si la révolution qui s’amorce les menace plus directement… Il faut en effet savoir que sur la vente d’un livre papier en librairie, la part revenant au libraire s’élève à 40% du prix. Une proportion non négligeable. Qu’arrivera-t-il si ce marché décline au profit du tout numérique? «La vérité, c’est que personne ne sait ce qui nous attend, avoue Jean-Marie Racine, directeur de la librairie La Fontaine, disposant de locaux à Vevey et à l’EPFL. Peut-être que dans deux ans nous ne serons plus là. Tout comme les disquaires indépendants ont quasiment disparus, il est possible que les libraires ne survivent pas au livre numérique, ou alors qu’ils concentrent toute leur activité sur le conseil et la promotion.»

Du côté des éditeurs, les bouleversements en cours offrent des perspectives a priori moins angoissantes. Certes, les écrivains-stars pourraient à terme se passer d’éditeurs et négocier directement avec les plateformes de vente en ligne (comme s’y essayent déjà quelques auteurs américains à succès) mais cette menace ne devrait guère peser sur le marché romand de l’édition.

Directeur des éditions Labor et Fides, Gabriel de Montmollin préfère relever les avantages du numérique: «Pour les livres dont la réimpression est très coûteuse (lire l’encadré ci-contre), tels que des manuels de plusieurs centaines de pages, le format électronique est particulièrement bienvenu. Chez Labor et Fides, nous nous sommes fixés comme objectif de proposer une vingtaine de livres au format Epub d’ici au mois de janvier. Pour l’heure, nous n’envisageons pas de publier un livre exclusivement en version numérique. Comme beaucoup d’éditeurs, nous attendons de voir comment va se développer le marché.»
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60 centimes la page

Pour pouvoir proposer des livres numériques sur e-readers.ch, c’est aux éditeurs qu’il revient de fournir le fichier adéquat à l’Office du livre (OLF). En toute logique, et comme pour l’impression d’un livre sur papier, l’opération ne devient rentable qu’à partir d’un certain nombre d’exemplaires vendus. «On est dans le même ordre de grandeur qu’avec le format papier. C’est-à-dire que nous rentrons dans nos frais à partir de 400 exemplaires écoulés», confie Gabriel de Montmollin, directeur des éditions Labor et Fides. Dans le cas où l’éditeur dispose déjà d’un fichier PDF (la situation la plus courante puisque ce format sert de base pour l’impression), le passage au format numérique Epub revient à environ 60 centimes la page, soit 180 francs pour un livre de 300 pages; s’il faut scanner un livre au format papier, le coût par page s’élève alors à un peu plus de 80 centimes. Ces tarifs, appliqués par des prestataires français, sont en train de baisser à grande vitesse sous la pression de concurrents asiatiques notamment.

Une fois l’opération effectuée, et à la différence des versions papier, le numérique n’engendre quasiment plus de coûts pour l’éditeur, étant donné que les frais d’impression et de stockage disparaissent. «Passé un certain nombre de livres téléchargés, les marges de distribution deviennent plus profitables avec le numérique», note Gabriel de Montmollin. Il faut en effet savoir que les coûts d’impression représentent 70% des frais de production d’un livre, les 30% restants étant alloués à la mise en page. Dans le cas d’un livre de 232 pages tirés à 1000 exemplaires papier, il en coûtera à l’éditeur environ 2’200 francs pour la mise en page et environ 5’000 francs pour l’impression.» Autant de coûts logiquement répercutés sur le prix final du livre papier, ce qui n’aura plus lieu d’être pour un best-seller au format numérique…
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Quels livres pour quels lecteurs?

Parmi les professionnels de l’édition, personne ne sait exactement quel écho rencontreront les livres numériques. Du reste, de quels livres parle-t-on? S’agissant de guide de voyages ou d’ouvrage didactiques, tels que des manuels scolaires, l’intérêt d’une version numérique est évident, avec comme premier argument l’économie de poids; autrement dit la possibilité d’emmener avec soi une immense quantité d’ouvrage, stockés dans la mémoire de la tablette électronique. Quant à la grande littérature, la question se pose encore de savoir si elle est solvable dans le numérique. Parmi les puristes, ceux qui franchissent le pas se disent plutôt surpris en bien. «J’ai testé la lecture d’un roman avec un iPad, et je dois dire qu’on s’y fait très vite», affirme Patrice Fehlmann de l’OLF.

Même si cela ne va pas de soi, les livres électroniques pourraient bien trouver leur premier public auprès d’une cible inattendue: les personnes âgées! «Pour les gens qui ont des problèmes de vue, la possibilité de grossir très facilement la taille des caractères est un vrai plus», fait remarquer Patrice Fehlmann.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.