GLOCAL

Des vuvuzelas pour saluer Göldi

Il est libre, Max. Mais à quel prix? En plein Mondial, cette victoire à la Calmy-Pyrrhus a tout du match nul.

La cruauté libyenne, c’est entendu, a des limites: Max Göldi n’aura finalement manqué aucun match du Mondial. Dire qu’il y a des gâtés, des frileux, des Minimo, qui n’ont jamais été otages et se plaignent à journée faite: les vuvuzelas seraient trop bruyantes.

Ah, cette grandeur d’âme, cette hauteur de vues: vouloir une coupe du monde en Afrique du Sud mais sans Sud-Africains ni trompettes. La vuvuzela rend sourd? Il n’y a pas qu’elle, dit-on.

Reste que les flonflons et les fanfaronnades politico-diplomatiques qui ont accueilli la libération de Max Göldi ne sont pas toutes non plus douces musiques. Cette façon grinçante, notamment, de transformer une humiliation évidente en quasi victoire. Une victoire à la Calmy-Pyrrhus, mais une victoire quand même.

Alors on murmure, on sussure, à l’instar de Christophe Darbellay, que, par comparaison, les infirmières bulgares, qui bénéficèrent, en leurs temps, elles aussi, de l’hospitalité kadhafienne, «sont restées emprisonnées bien plus longtemps». Hourrah! Suisse-Bulgarie 1-0, jouez hautbois, résonnez vuvuzelas.

Micheline Calmy-Rey elle-même se tape discrètement sur le ventre. Se félicite de n’avoir rien signé lors du très sympa apéro sous tente avec l’impayable colonel et quelques-uns de ses bons copains, dont Berlusconi. Et de ne s’être excusée que pour la fuite dans la presse genevoise des photos d’Hannibal en pleine humiliation policière.

La presse, justement, n’est pas en reste dans cet art subtil de voir le verre à moitié plein plutôt que complètement vide. Ainsi la correspondante parlementaire Christiane Imsand, dans Le Nouvelliste et la Liberté, nous l’assure: «Quand on plie devant le plus fort pour défendre des valeurs supérieures, on ne perd pas la face.» Beau comme le son de la vuvuzela le soir au fond des buts.

Alors que l’affaire est loin d’être terminée, que la Libye tient encore à disposition de la Suisse un plein sac de jolies couleuvres. Avec d’abord la création d’un tribunal arbitral et international chargé de statuer sur la façon dont fut traité, dans Genève-la-Sanglante, le délicat Hannibal. Lequel avec un peu de chance pourrait même se voir attribué de lourdes indemnités.

Il faudra quand même un jour répondre à la question que formule déjà le parlementaire UDC Hans Fehr, une question toute simple: «Pourquoi la Suisse a-t-elle été aussi ridicule?»

Une des réponses les plus convenues, et sans doute les moins glorieuses, consiste déjà à faire feu sur Genève, ses autorités, sa justice et sa police rousseauistes, arc-boutées sur de vieux principes absurdes. Comme celui voulant que chacun soit égal devant la loi. Alors qu’il aurait été tellement plus simple de faire une discrète exception pour la méritante famille Kadhafi.

Pour l’heure, mais cela ne va sans doute pas durer, ce sont surtout les Genevois eux-mêmes qui fustigent l’idéalisme pataud de leur gouvernement. Le président du parlement Guy Mettan, en habitué des courbettes feutrées de la Genève internationale, le certifie: «La maladresse se paye cash.»

Même son de cloche effarouchée chez ceux que la crise libyenne frappe au portefeuille. «Nous sommes un petit pays qui se doit d’être prudent», rappelle ainsi, très prudemment, Blaise Matthey, directeur de la Fédération des entreprises romandes.

Mais c’est l’historien — genevois — Bernard Lescaze dans Le Temps qui vend le masque et tombe la mèche. Dit ce qu’il faut regretter dans cette affaire, et en pointe l’erreur fondatrice: «La loi du plus fort est toujours la meilleure. On ne traite pas le fils d’un chef d’état, par ailleurs dictateur, de la même manière que n’importe qui.»

Voilà, on a bien compris: il eût fallu se déculotter d’entrée et sans moufter. Même si le dictateur en question vous traite de «mafia mondiale» et «d’organisation corrompue»? Bon, là Kadhafi ne parlait pas de la Suisse mais de la FIFA. Sans doute que lui non plus ne supporte pas les vuvuzelas.