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Prothèses auditives: de plus en plus fort

large010610.jpg«Les clients du marché des appareils auditifs veulent des boutiques aussi belles que Louis Vuitton, des produits aussi qualitatifs que ceux d’Hermès avec un service digne d’un cinq étoiles, le tout à un prix Migros.» Le discours est bien rôdé. Et pour cause, l’entrepreneur français Daniel Abittan n’en est pas à son coup d’essai. Après avoir lancé des enseignes telles que GrandOptical, la Générale d’Optique, Solaris ou encore GrandAudition, il refait parler de lui avec le lancement d’Acuitis, une chaîne de magasins regroupant la vente d’appareils auditifs et de lunettes optiques et solaires.

«Deux raisonnements m’ont guidé. D’un côté, les perspectives qu’offre le vieillissement de la population. De l’autre, l’offre existante, qui n’est pas très sexy: des boutiques médicalisées et vieillottes, des prix élevés et non transparents.» La nouvelle enseigne veut mélanger les publics, et les âges: «Les magasins qui ne vendent que des prothèses auditives ont une mauvaise image, ils sont associés à la vieillesse puisqu’on y entre après 70 ans en moyenne, observe Daniel Abittan. Je souhaite créer des magasins où le grand-père et le petit-fils se côtoient. Le lien étant l’optique. D’ailleurs, dans notre magasin, le rayon enfant, en optique, est placé volontairement à côté de l’audition. Et les tables sont communes.»

S’il souligne le potentiel de croissance du secteur, Daniel Abittan en regrette cependant la difficulté du développement commercial: «En Suisse, nous sommes limités par la rareté des emplacements, mais aussi par la pénurie insensée de jeunes diplômés dans les deux professions, optique et audition. A croire que les professionnels en limite volontairement l’accès afin de maintenir des prix élevés…» Les tarifs, parlons-en. Ils débutent chez Acuitis à 1’000 francs pour un appareil auditif, ce qui est plutôt bas. «Aujourd’hui, et à ma connaissance, personne n’a intérêt à diminuer les prix. Je le fais, je prends des risques», estime Daniel Abittan.

Le secteur intéresse de nombreux acteurs. La chaîne Visilab, par exemple, a lancé il y a plus d’une dizaine d’années les magasins Audilab avec une approche diamétralement opposée à celle d’Acuitis: «Auparavant, les activités liées aux appareils auditifs étaient intégrées avec l’optique, explique Daniel Mori, président d’Audilab et de Visilab. Nous avons décidé de séparer les deux activités suite à des plaintes en provenance de notre clientèle.» Les clients qui venaient pour un sonotone étaient gênés de l’essayer face aux jeunes qui achetaient des lunettes.

Aujourd’hui, Audilab compte une vingtaine d’employés et réalise un chiffre d’affaires de 5 millions de francs (contre respectivement 800 employés et 190 millions de francs pour Visilab), soit «une part de marché de 10% en Suisse romande», indique Daniel Mori, qui identifie un autre fort potentiel de croissance: «Selon plusieurs études, à peine un tiers des gens qui devraient porter une prothèse en portent effectivement une. De plus, cette clientèle, âgée de 60 ans en moyenne, attend le dernier moment pour s’équiper.»

Il constate toutefois encore «un frein» auprès de ce public en ce qui concerne la perception de l’évolution technologique des appareils auditifs: «Les gens gardent l’image des prothèses de leurs grands-parents, peu performantes, qui finissaient par rester dans les tiroirs. Tous ne sont pas encore au courant que les nouveaux modèles, beaucoup plus discrets, s’adaptent même dans des environnements bruyants.» Les prix pour ces modèles s’élèvent en moyenne à 3’000 francs par appareil.

Autre acteur incontournable dans le pays, Amplifon est la plus grande chaîne de magasins spécialisée dans les appareils auditifs de Suisse. Au sein de ses 80 filiales, l’enseigne propose un assortiment comprenant les principaux fabricants d’appareils auditifs du marché, notamment Phonak, Siemens, Widex ou GN ReSound. «Le marché suisse est composé d’environ 50% d’indépendants et de 50% de chaînes et groupes de grandeurs diverses, résume Patrick Müller, chef des ventes. En ce qui nous concerne, nous détenions l’année dernière environ 22% de part de marché.» Selon Auditionsuisse, l’association faîtière du secteur des aides auditives, un total d’environ 73’000 pièces ont été vendues l’année dernière sur le territoire helvétique (contre 60’000 en 2006, + 22% de croissance sur trois ans), soit un chiffre d’affaires global pour la branche «d’environ 250 millions de francs par an».

«Le prix d’un appareil se situe chez nous entre 1’400 et 4’500 francs, détaille Patrick Müller. Je précise que ce prix d’achat comprend la prise en charge et le suivi, entretien et réglages, durant toute la vie de l’appareil.» Les assurances n’hésitent pas pour leur part à manifester leur mécontentement vis-à-vis des tarifs en vigueur sur le marché (elles remboursent des sommes forfaitaires par oreille allant de 425 à 695 francs selon le degré de problème d’audition diagnostiqué par un médecin spécialiste ORL). L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) considère ainsi que les prix des appareils auditifs restent beaucoup trop élevés en Suisse: «Pour certains articles, les marges sont comprises entre 40 et 50%, ce qui est difficilement acceptable compte tenu du fait qu’elles sont en partie financées par les cotisations des assurés», souligne Harald Sohns, porte-parole de l’OFAS.

L’année dernière, un accord a cependant été conclu avec la branche, qui a accepté de baisser ses prix d’entrée, permettant ainsi à l’AVS et à l’AI d’effectuer des économies de l’ordre de 40% sur le prix remboursé des appareils auditifs pour 2010 et 2011. Au total, les dépenses de l’AI devraient ainsi se stabiliser à un peu plus de 80 millions de francs par année.

Dans le futur, il est possible que le système s’organise de manière plus centralisée. En résumé, il s’agirait pour l’OFAS de sélectionner par des appels d’offres «les articles proposant les meilleurs prix et couvrant l’ensemble des besoins appropriés aux handicaps de la population». Ce système est décrié par les acteurs de la branche qui considèrent qu’il limiterait le choix pour le consommateur et s’approcherait trop d’un «système de santé étatisé» à l’anglaise. Pour Harald Sohns de l’OFAS, le marché actuel, dans lequel les assurances sociales jouent déjà un rôle important, «ne peut de toute manière pas être considéré comme un marché libre». La question ne manquera donc pas de rebondir dès cette année au Parlement, notamment dans le cadre des débats sur la sixième révision de l’AI.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.