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Dakar: la controverse de la statue

Le Sénégal fêtait ce week-end le cinquantenaire de son indépendance. Au cœur des célébrations, une statue pharaonique, voulue par le président Abdoulaye Wade, qui a divisé la ville en deux. Reportage.

Cinquante ans d’indépendance! Les Sénégalais ont célébré cet anniversaire dans tout le pays. Pour l’occasion, le président Abdoulaye Wade avait vu les choses en grand avec l’inauguration officielle de son pharaonique monument de la renaissance, bâti sur l’une des deux collines de Ouakam, un quartier populaire de Dakar.

Aux alentours, une marée humaine de bruyants supporters a fait le déplacement, parfois depuis les régions les plus reculées. «Je suis venue pour soutenir le président, explique Mariama Bassene, une commerçante de Dakar. Beaucoup disent que le monument de la renaissance est mauvais. Ils ont le droit, nous sommes en démocratie. Mais ne disait-on pas la même chose de la Tour Eiffel, lors de sa construction? Aujourd’hui, les gens parlent beaucoup, mais le moment venu, ils se rendront compte de la valeur de cette statue.»

Construit par des Nord-Coréens dans un style vaguement néo-soviétique, l’ouvrage de 22’000 tonnes s’élève à plus de 5O mètres, soit légèrement plus haut que la statue de la liberté à New York. Il représente un homme enveloppant de son bras droit une femme à moitié nue et tenant sur son bras gauche un enfant pointant du doigt l’océan étincelant. Selon ses concepteurs, ce monument est censé symboliser «une Afrique sortant des entrailles de la terre, quittant l’obscurantisme pour aller vers la lumière». Coût de la construction: entre 15 et 20 millions d’euros.

Pour l’inauguration, tout a été organisé pour que la fête soit à la démesure de l’événement. Un parterre de 22 chefs d’Etats africains a fait le déplacement. Des cars ont transporté les supporters du président depuis tout le Sénégal. Les sections locales du Parti démocratique sénégalais (PDS, le parti au pouvoir) ont distribué des milliers de tee-shirts jaunes et autres boubous bleus à l’effigie du président Wade.

Pendant l’inauguration, le speaker demande aux personnes qui ne portent pas les couleurs du PDS (le jaune et le bleu) de ne pas se mettre en avant. Il ne faudrait pas que les caméras filment autre chose que des supporters.

Ben Mady, un artiste de 32 ans qui a fait le déplacement depuis la ville de Saly, n’est pas un partisan de Wade, mais il est venu voir la statue: «Pour moi en tant qu’artiste, c’est une très belle œuvre d’art. Je crois que c’est très beau et que cela va amener beaucoup de touristes au Sénégal.»

Sur toute l’esplanade, les tams-tams raisonnent, provocant des danses endiablées sous l’œil attentif des militaires. Demba, un jeune sénégalais de 16 ans, vêtu d’habits en lambeaux mais arborant un tee-shirt tout neuf «Mr. Wade, un bâtisseur au service de la nation», ne le cache pas: «Le PDS m’a donné ce tee-shirt et un peu d’argent pour que je vienne.» Au rythme des percussions, la foule compacte, bruyante et enchantée livre une propagande implacable au chef de l’Etat.

Pour peu on en oublierait presque la controverse qui divise la population. Le matin même, des opposants manifestaient contre la statue sur l’avenue Bourguiba à Dakar. Cette marche, initialement interdite par le président Wade, n’a réuni qu’un millier de personnes, mais davantage souhaitaient s’y rendre. «Je voulais y aller, mais comme le président l’a interdite, je suis resté chez moi, témoigne Ass N’Diaye. J’ai eu peur que les gendarmes interviennent et que cela tourne mal.»

Pour les opposants, cette statue symbolise la dérive gouvernementale du clan Wade. «Franchement, c’est moche et ça ne sert à rien. Avec l’argent dépensé, le gouvernement aurait pu faire autre chose», soupire une restauratrice de la place de l’Indépendance. Plus en colère, un haut fonctionnaire, qui préfère garder l’anonymat, estime que «Wade a perdu la raison. C’est n’importe quoi, il est dans un délire mégalomaniaque.»

Plus que la facture, c’est la mainmise du clan présidentiel sur les retombées économiques du monument qui exaspère une partie de la population. En tant «qu’auteur du monument» et «propriétaire intellectuel», selon ses propres termes, Abdoulaye Wade s’est arrogé 35% des futurs bénéfices, le reste revenant à l’Etat. «On ne verrait jamais ça en Occident, c’est scandaleux», peste Ass N’Diaye.

Pour ne rien arranger, les marabouts vitupèrent également la statue. Dans un pays à 90% musulmans, certains n’ont guère apprécié la jupe relevée et le buste dénudé de la femme. Un avis que tempère Ben Mady: «Franchement, je suis musulman et je ne vois pas le problème. C’est simplement une œuvre d’art. On peut très bien être musulman et apprécier la Joconde.»

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Bertrand Beauté, journaliste de LargeNetwork, effectue une série de reportages en Afrique de l’Ouest. Son voyage est raconté sur le site cialis buy.