KAPITAL

Les jeux vidéo reprennent des couleurs

Après une année 2009 plombée par la récession, les ventes de jeux vidéo devraient à nouveau croître en 2010. Mais celles des consoles continueront à baisser. Explications.

Sur le marché des jeux vidéo, l’optimisme reste de mise malgré une année 2009 aux allures de catastrophe. En chiffres? En Suisse, sur les trois derniers mois de l’année, le secteur a enregistré une baisse de 16% par rapport à la même période de 2008, selon les données de l’Association suisse du divertissement interactif (SIEA). Et aux Etats-Unis, qui représentent 45% des ventes mondiales, la contraction est évaluée à 14% dans le même intervalle, selon l’agence américaine NPD. Au Japon, le chiffre d’affaires du secteur a chuté de 7% en 2009, si l’on en croit le cabinet Enterbrain.

Premières victimes de cette contraction, les sociétés cotées, comme Ubisoft ou Nintendo, ont vu dégringoler le cours de leurs actions; le titre de la société japonaise est passé de 50 dollars en janvier 2009 à 38 aujourd’hui sur le Nasdaq. Pour éviter la catastrophe, la plupart de ces firmes ont réagi en réduisant leurs dépenses d’investissement, considérables dans ce domaine. A titre d’exemple, Electronic Arts a dépensé en 2008 1,4 milliard de dollars en recherche et développement, soit plus de 32% de son chiffre d’affaires. Il y a un an, elle a annoncé la suppression de 1’000 postes dans le monde et la fermeture de neuf studios.

Pourtant, avant la crise, le secteur semblait florissant. Il y a une dizaine d’années, le chiffre d’affaires mondial du jeu vidéo a durablement dépassé celui du cinéma. Pour 2008, il se montait à près de 41 milliards d’euros. En Suisse, la SIEA parlait même d’une année «record» en 2008, avec un bénéfice en hausse de 10% par rapport à l’année précédente et un chiffre d’affaires de 460 millions de francs pour l’ensemble de la Confédération.

D’où venait une telle croissance? Les nouvelles consoles, comme la Wii, ainsi que des programmes plus accessibles au grand public sont venus élargir la gamme. Et, du même coup, le nombre de clients potentiels. Aujourd’hui, les adolescents ne sont plus les seuls à investir dans des jeux de course ou de simulation. Les Nintendo DS ont investi le salon des familles, les poches des cadres et celles des femmes, qui représentent désormais 28% des consommateurs de jeux vidéo.

Les spécialistes distinguent le marché des consoles, dit «hardware», de celui des jeux, dit «software». Ces deux domaines, bien que complémentaires, évoluent chacun à leur rythme. Sur le plan mondial, la vente totale de consoles subit une contraction, et ce depuis une année. «Après une forte hausse en 2008, les ventes de la Wii et de la Playstation 2 sont en baisse», déclare David Riley, directeur du groupe NPD, actif dans la branche.

La raison? Selon Nicolas Akladios, président du réseau des joueurs suisses, il y a une saturation du marché dans ce domaine: «Pratiquement tous les joueurs sont déjà équipés d’une Nintendo DS, d’une Wii ou d’une Playstation et ils ne vont pas en acheter une nouvelle avant quelques mois», relève-t-il. Ainsi, selon la plupart des experts, dans le segment des hardware, la reprise n’aura pas lieu avant fin 2010. D’autant qu’aucune nouvelle console ne devrait être lancée sur le marché l’année prochaine. Pour enrayer la tendance et relancer les ventes, Sony et Nintendo viennent cependant d’annoncer une baisse des prix de la PSP et de la Wii au Japon et aux Etats-Unis.

Les jeux vidéo n’ont pas non plus été épargnés par le recul de la consommation. Rien qu’aux Etats-Unis, leurs ventes ont accusé une chute de 31% au premier semestre 2009. Cette contraction est due en partie au piratage — Call of Duty: Modern Warfare 2 a été téléchargé illégalement plus de 4 millions de fois en 2009. Mais Pascal Fillat, rédacteur en chef du magazine suisse «Start2play», préfère citer un trop-plein de jeux en rayons: «Plus de 500 jeux vidéo sortent chaque année, généralement au même moment, explique-t-il. Avec la crise, les budgets des acheteurs ne peuvent plus suivre!»

Pour autant, les sociétés vont échelonner leurs sorties et distribuer quelques jeux très attendus (lire ci-dessous), ce qui devrait maintenir les chiffres à la hausse pour l’année en cours. La SIEA l’affirme: «Nous attendons pour 2010 une légère reprise, en particulier grâce à la vente des jeux.» Conclusion: avec des ventes de consoles qui baissent et des ventes de jeux qui rebondissent, le marché global devrait rester stable cette année voire se reprendre.
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Atari, aux soins intensifs
La marque américaine mythique sort à peine du tunnel. En quelques années, le prix de son action a chuté de 80 à 4 euros, la société n’ayant pas su gérer l’émergence d’internet. Après avoir été reprise par les Français d’Infogrames, elle a réduit ses coûts. Aujourd’hui, ses résultats redécollent (chiffre d’affaires en hausse de 26% fin 2009), mais sans bénéfices spectaculaires. La sortie de Tekken VI est cependant très attendue.

Activision-Blizzard, la tête dans les étoiles
Le leader mondial depuis 2007 appartient à Vivendi. La société franco-américaine revendique un chiffre d’affaires de 1’493 millions d’euros au premier semestre 2009. Elle détient deux des cinq jeux les plus vendus aux Etats-Unis et en Europe — Guitar Hero World Tour et Call of Duty: World at War. Elle possède également World of Warcraft, le gagnant toutes catégories avec 13 millions d’abonnés dans le monde. «Activision vient de sortir la nouvelle version de Call of Duty: Modern Warfare, note Nicolas Akladios. Ce sera peut-être le jeu de l’année.» En effet, cette nouvelle version a enregistré 550 millions de dollars de recettes pour les cinq premiers jours de sa mise en vente, ce qui en fait le plus grand lancement de l’industrie des loisirs à ce jour.

Gameloft, un succès de niche
La petite société française, fondée par un des frères Guillemot (Ubisoft), indique un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros en 2009 (en hausse de 18% sur les neuf premiers mois). Elle est numéro un mondial des jeux sur téléphones mobiles — un secteur porteur grâce au succès de l’iPhone.

Electronic Arts, risque de rachat
L’ancien numéro 1 mondial, qui a installé son siège européen à Genève, accuse fortement les effets de la crise. Malgré un chiffre d’affaires s’élevant à 4,2 milliards de dollars, la firme enregistre au final 1 milliard de dollars de pertes et a connu deux restructurations en deux ans. Pourtant, elle possède les licences de jeux à succès comme Les Sims ou FIFA. Mais ceux-ci ne suffisent pas à contrer les «blockbusters» édités par Activision. D’où les rumeurs de rachat d’Electronic Arts (EA) par Microsoft. «La transaction pourrait se faire, pense Pascal Fillat, le rédacteur en chef de «Start2play». Mais je ne pense pas que ce soit pertinent pour Microsoft, qui n’a pas édité grand-chose pour sa XBOX 360.» De son côté, Microsoft Game Studios dit «n’avoir aucune intention» d’acheter EA.

Ubisoft, prudence
L’entreprise, créée par les frères Guillemot en 1986, figure en troisième place du classement mondial des éditeurs indépendants de jeux vidéo. Avec la crise du secteur, la valeur de son action a accusé une baisse record de 29% en 2009. Mais la bonne santé du groupe donne espoir pour la suite. «Ils mènent une gestion patrimoniale, indique Emmanuel Forsans, fondateur et responsable de l’Agence française pour le jeu vidéo (AFJV). Leur taux d’endettement est sain.» Pour assurer de bonnes ventes, la société a décalé la sortie de nouveaux jeux au premier trimestre de 2010, quand la concurrence sera moins forte (Avatar). Elle a également fait un joli score fin 2009 avec 1,6 million de copies vendues du jeu Assassin’s Creed 2.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote.