En mai 1998, Innocent lance la version 2.0 de son site, sans savoir qu’une plainte a été déposée et que les gendarmes sont à sa recherche. En juillet, les autorités suisses obtiennent la fermeture du site aux Etats-Unis. Innocent déménage.
Plébiscité par ses lecteurs, Innocent lance la version 2.0 de son site le 1er mai 1998. L’habillage est rafraîchi et la couverture satirique s’élargit à l’ensemble de l’actualité. Innocent se familiarise avec les logiciels de traitement photographique et agrémente le site de photomontages plus ou moins réussis.
Nous sommes en juin 1998. Innocent ne sait pas que depuis trois mois, la police genevoise est à ses trousses et qu’une plainte pour diffamation a été déposée. C’est le 10 mars 1998 que Guy Mettan, ancien rédacteur en chef de la Tribune de Genève, a porté plainte contre X, éditeur du site anonyme connu sous le nom d’Innocent. Première mission de la police: trouver X. L’investigation se déroule dans le plus grand secret.
Les effets de l’enquête policière ne deviennent visibles qu’au début du mois de juillet lorsque, d’un jour à l’autre, l’adresse suisse d’Innocent (www.siteinnocent.ch) ne répond plus. Innocent interroge électroniquement l’homme de paille chargé de rediriger cette adresse suisse vers le site gratuit Geocities. L’intermédiaire reste longtemps évasif, puis finit par avouer qu’il a supprimé le redirectionnement de l’adresse après avoir été interrogé par la police au sujet d’Innocent.
A cette date, Innocent croit encore qu’il s’agit d’un canular de l’homme de paille. Mais dans la nuit du 6 juillet, coup de théâtre: le site est bouclé aux Etats-Unis. Un courrier électronique du département juridique de Geocities indique que les fichiers du site Innocent contiennent des propos haineux et qu’ils ont été retirés du serveur. On apprendra plus tard – dans La Liberté – que la police genevoise a demandé la fermeture du site à Geocities.
De retour d’une soirée en boîte, l’un des instigateurs d’Innocent s’aperçoit au petit matin que le site ne répond plus. Il décide de recharger immédiatement les fichiers sur une autre adresse de Geocities. Dans la foulée, un nouveau redirectionneur est mis en place: http://innocent.iscool.net. Si les représailles policières continuent aux Etats-Unis, Innocent pourra continuer à déménager sans devoir annoncer à chaque fois une nouvelle adresse.
A 7 heures du matin, les fichiers sont tous transférés et le site Innocent est ressuscité. Un communiqué anonymisé annonce la nouvelle adresse à tous les médias et explique que le site a été bouclé. Les journalistes sont invités à enquêter sur cette affaire. Ils ne se feront pas prier.
Le communiqué arrive notamment au Temps. Présenté à la séance du matin, le sujet passionne la rédaction. Ironiquement, l’enquête est confiée à la rubrique Communication, dont personne ou presque ne sait que les deux instigateurs d’Innocent y travaillent. Les deux journalistes ne peuvent pas s’y soustraire. Ils appellent la police genevoise, qui refuse dans un premier temps de confirmer qu’une plainte a été déposée. «Je ne peux pas vous le dire maintenant, rappelez-moi dans l’après-midi», affirme le porte-parole qui prétend que les fichiers sont gigantesques et qu’il faut beaucoup de temps pour retrouver un tel renseignement…
La police soupçonne-t-elle qu’un ou plusieurs journalistes se cachent derrière Innocent? Essaie-t-elle de se servir de son porte-parole pour les besoins de l’enquête? La situation reste peu claire et Innocent redouble donc de prudence.
Les deux journalistes poursuivent leur enquête en appelant l’homme de paille, dont le nom figure dans le registre des adresses internet. Sait-il quelque chose à propos d’Innocent? A-t-il vu la police? Quand? Pourquoi? La simplicité des questions du journaliste appelle des réponses courtes et directes. Au lieu de cela, l’homme de paille accumule les contradictions et les propos incohérents. Surtout, il se met à poser lui-même des questions: «Et vous, vous le connaissez, Innocent?» Un policier se tient-il derrière lui? A-t-il reçu des instructions? Innocent ne prend aucun risque et termine prudemment la communication.
Dans l’après-midi, la police finit par confirmer qu’une plainte pour diffamation a été déposée mais refuse de révéler l’identité du plaignant. Dans l’édition du 9 juillet du Temps, les deux instigateurs d’Innocent cosignent l’article qui raconte l’affaire.
Poursuivi par la justice de son pays, Innocent ne cessera pas son combat pour la liberté d’expression.
A suivre…