La Suisse abrite de nombreuses jeunes sociétés prometteuses, espoirs d’une sortie de crise positive. Sélection des plus surprenantes et ingénieuses pour qui 2010 sera, peut-être, l’année de la consécration.
Le monde des start-up suisses est en train de changer. Alors que, pendant des années, on a reproché aux jeunes pousses de ne pas savoir passer de l’innovation au business ou de ne pas avoir l’ambition d’un Google, voici que les entrepreneurs s’affirment. À l’exemple de Stéphane Dutriaux, fondateur de Poken, qui n’hésite pas à clamer que son objectif est de faire de son entreprise «le nouveau Logitech».
«La Suisse a beaucoup progressé ces dernières années au niveau des soutiens financiers à l’innovation, ainsi que dans la valorisation des sociétés. La professionnalisation des entrepreneurs s’est, elle aussi, accrue», souligne Jordi Montserrat, directeur de Venturelab, un programme fédéral pour la promotion et l’innovation (CTI).
Et en 2010? «Il ne faut surtout pas nous reposer sur nos lauriers, prévient Jordi Montserrat. Beaucoup d’éléments peuvent encore être améliorés. Il faut accélérer l’exposition des entrepreneurs au marché, encourager davantage l’investissement et inciter les sociétés établies à adopter plus d’innovations.»
Mais l’essentiel restera toujours ces femmes et ces hommes dans l’esprit desquels l’«Idée» a germé et qui ont suffisamment d’enthousiasme pour la faire vivre. Une faim de futur, meilleur antidote à la crise.
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Ozwe, Lausanne
Un ordinateur sans clavier ni souris
Dès qu’une personne s’approche à moins de deux mètres, un écran plat, monté sur un bras robotisé, se tourne automatiquement, oscille dans les airs, cherche le visage puis se fixe face à l’utilisateur. En levant vos bras dans les airs, vous pouvez alors prendre le contrôle de la machine et lancer des applications sans toucher l’écran ni vous approcher. Baptisé QB1, cet appareil se commande uniquement par des gestes, à distance. Grâce à une caméra 3D intégrée à l’écran, l’ordinateur perçoit son utilisateur. Une fois reconnu, celui-ci apparaît sur le moniteur sous la forme d’un avatar. Il suffit alors de bouger pour cliquer ou faire défiler les icones.
Commercialisé en 2009 par la start-up lausannoise Ozwe, cet ordinateur d’un nouveau genre ne possédait jusqu’alors qu’une seule application: un juke-box fonctionnant comme les logiciels iTunes ou Windows Media Player. «En 2010, nous allons lancer une nouvelle version destinée aux lieux d’hospitality, tels que les bars ou les hôtels, révèle Frédéric Kaplan. Il y aura notamment une application pour commander à boire ou à manger. Nous avons eu cette idée après des essais concluants réalisés chez Logitech.»
Comme dans sa première version, «QB1 se voudra le plus intuitif possible, afin que n’importe qui puisse s’en servir de manière ludique.» La reconnaissance des personnes a ainsi été renforcée puisque, en plus de la détection par caméra, deux microphones permettront à la machine de savoir d’où provient le son. Les appareils devraient être facturés entre 10’000 et 12’000 francs l’unité.
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Caleido, Zurich
Pour sauvegarder vos fichiers
Photos, films, musiques, données en tout genre… Nos ordinateurs sont devenus en quelques années le lieu de stockage de toute notre vie. Mais comment mettre nos précieuses informations à l’abri d’un crash de disque dur ou encore d’un vol de laptop? DVD gravés et disques externes offrent bien entendu une solution, mais ils ne permettent pas de disposer de leurs données en tous lieux.
Pour changer la donne, Dominik Grolimund et Luzius Meisser, deux étudiants de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) ont lancé en 2007 la société Caleido et son service Wuala, qui permet le stockage des données en ligne. «Après une phase de test auprès d’invités, nous avons ouvert notre service au public en août 2008», raconte Dominik Grolimund. Un succès. «Bien sûr, il existe de nombreux autres services de sauvegarde des données en ligne. Mais le nôtre présente plusieurs avantages, notamment la possibilité de partager ses fichiers avec ses amis, grâce à la technologie du peer-to-peer.» Autre avantage, Wuala offre gratuitement le stockage d’un gigaoctet (Go) de données. Pour disposer de plus d’espace, il faut ensuite mettre la main au portemonnaie, puisque 100 Go sont facturés environ 160 francs par an.
Utilisé par des milliers d’internautes (le chiffre exact est confidentiel), Wuala a séduit l’entreprise LaCie. En effet, le fabricant de disques durs français a racheté au printemps dernier la start-up zurichoise pour un prix non divulgué. «Nos activités de stockage en ligne sont très complémentaires de celles de LaCie, se félicite Dominik Grolimund. Ce rachat devrait nous permettre de nous développer plus vite sur un marché extrêmement concurrentiel.» Ainsi que de rassurer les clients réticents à confier leurs données à une start-up.
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Sensimed, Écublens
Mesurer l’évolution des glaucomes
«Les premiers retours sont extrêmement positifs.» Le Dr Kaweh Mansouri, du service d’ophtalmologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), ne tarit pas d’éloges au sujet de la lentille développée par Sensimed, une spin-off de l’EPFL. «Je l’utilise depuis deux mois pour les diagnostics difficiles des glaucomes et pour le suivi des cas les plus complexes.»
Véritable concentré de technologie, cette lentille — presque similaire à une lentille de contact — est munie d’une antenne miniature et d’un microprocesseur de 50 microns, qui permettent de mesurer la pression intra-oculaire, seul symptôme détectable du glaucome. «Jusqu’ici, pour mesurer la pression à l’intérieur de l’œil, les patients passaient vingt-quatre heures à l’hôpital, afin que nous réalisions des mesures toutes les deux heures. Problème: certains pics de pression pouvaient nous échapper», explique Kaweh Mansouri.
«Grâce à la lentille de Sensimed, il est possible de suivre les variations de pression intra-oculaire en continu pendant vingt-quatre heures, se félicite Jean-Marc Wismer, directeur général de Sensimed. Cela permet de comprendre ce qui se passe véritablement à l’intérieur de l’œil et ainsi de mieux adapter les traitements.» Selon Kaweh Mansouri, cette possibilité aurait permis d’améliorer les soins pour un tiers de ses patients, «grâce à l’observation de pics de tension cachés, notamment la nuit».
«Pour l’instant, nous commercialisons notre lentille seulement dans une demidouzaine d’hôpitaux afin d’affiner son potentiel, poursuit Jean-Marc Wismer. La vraie commercialisation commencera en 2010, lorsque Tarmed aura fixé un prix de remboursement.» Une décision que Kaweh Mansouri attend avec impatience: «Je pourrai alors utiliser cette lentille avec tous mes patients qui en ont besoin.»?
Matteo Leonardi, Jean-Marc Wismer et Sacha Cerboni Sensimed, «spin-off» de l’EPFL, a développé une lentille, concentré de technologie, capable de mesurer la pression intra-oculaire.
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UP Group, Boncourt
En route vers une autre mobilité
«La mobilité, tout le monde en parle mais en réalité peu d’offres existent.» Partant de ce constat, Philip Slomian a décidé de lancer UP Group, en 2006. «Je dirigeais une entreprise dans les NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) en France, lorsque la promotion économique du Jura est venu vers moi. Au début, il s’agissait de délocaliser tout ou partie de mon activité. Mais j’ai préféré vendre mon affaire et lancer le projet Toowup.» De quoi s’agit-il?
«Nous allons proposer une offre de mobilité, baptisée Toowup City, dont le prix sera calculé en fonction des kilomètres réellement effectués. La géolocalisation permettra de savoir en temps réel les distances parcourues.» Concrètement, un abonnement de 69 francs permettra de disposer sans réservation d’un véhicule. «L’abonné (professionnel ou particulier) recevra une clé qui ouvre n’importe laquelle de nos voitures. A partir du moment où il l’a ouverte, elle est à lui jusqu’au moment où il la replace sur une place Toowup. Nous avons calculé qu’une de nos voitures remplacerait en ville entre 6 et 7 voitures particulières.» Les véhicules en question seront parqués sur des places dédiées et un numéro de téléphone gratuit permettra de connaître la position du véhicule disponible le plus proche.
«Il y a beaucoup de technologie numérique dans nos voitures, se félicite Philip Slomian. Cela va permettre pour nos clients une économie pouvant atteindre 70% dans certains cas, comparé au prix qu’ils paieraient s’ils avaient leur propre voiture.» Le système Toowup City sera testé en 2010 dans un canton suisse, ainsi que dans deux villes françaises et le portail toowup.com sera ouvert au public début 2010. «A terme, nous avons la vocation d’être partout en Europe.»
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Procedural, Zurich
Modéliser des cités virtuelles
En à peine trois années d’existence, Procedural, une spin-off de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) a réussi à séduire des entreprises de renommée internationale parmi lesquelles Blizzard (éditeur du jeu World of Warcraft), Thalès ou Samsung. L’entreprise commercialise un logiciel de modélisation 3D novateur baptisé CityEngine, destiné à la création de bâtiments et d’environnements urbains.
«Les logiciels classiques permettent de créer des bâtiments à partir de formes géométriques. Lorsqu’on fait un seul bâtiment, ça va, mais le travail se révèle extrêmement long et fastidieux lorsqu’il s’agit de faire une ville entière, explique Simon Schubiger, cofondateur avec Pascal Müller, Dominik Tarolli et le professeur Luc van Gool. CityEngine permet de générer une infinité d’immeubles à partir de caractéristiques basiques comme le nombre d’étages, la présence de balcons ou encore l’époque ou le style de construction. Une fois ces données entrées, le logiciel imagine le nombre voulu de bâtiments.»
Commercialisé pour 700 dollars aux écoles et entre 3500 et 5500 dollars pour les entreprises, ce logiciel a déjà séduit une centaine de clients, tandis que sa version d’essai gratuite a été téléchargée près de 10 000 fois. «En 2010, nous allons sortir une nouvelle version de CityEngine qui intégrera une reconnaissance des bâtiments. Concrètement, le logiciel sera capable d’analyser la façade d’un immeuble sur une photographie et de le reconstruire en 3D.»
A terme, l’objectif de l’entreprise est de devenir un acteur incontournable dans les systèmes de navigation en trois dimensions, comme Google Earth.
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Arimaz, Renens
Le robot communicant
Créée en mars 2008, la start-up romande commercialise depuis décembre un robot qui détecte la réception d’e-mail et informe lorsqu’un ami se connecte à un réseau social. «Depuis deux jours, nous proposons, sur notre site internet, Mydeskfriend, notre robot interactif.» Pierre Bureau, fondateur et CEO d’Arimaz, une start-up basée à Renens (VD), peut se réjouir: après plus d’un an et demi de développement et de mise au point, son robot arrive enfin sur le marché. Pas plus gros qu’une souris, Mydeskfriend permet de savoir ce qui se passe sur son ordinateur, sans rester fixé devant son écran.
Connecté en permanence à l’internet, ce robot qui s’exprime par synthèse vocale détecte la réception d’e-mail, est capable de les lire et informe si un ami s’est connecté à un réseau social. Il peut également lire les bulletins d’information, s’ils ont été traduits en flux RSS (le standard utilisé pour la diffusion d’actualités sur l’internet, ndlr), donner les prévisions météo ou transmettre les cours de la Bourse.
«Nous avons développé un lien très fort entre notre robot et la plateforme Facebook, avec notamment une application qui permet de le manager, de voir s’il est heureux, de lui offrir des cadeaux, etc.» Pour le moment Mydeskfriend n’est commercialisé que sur le site d’Arimaz, au prix de 149 francs. En 2010, Pierre Bureau projette d’étendre son réseau de distribution à d’autres sites, puis dans des magasins.
«Par ailleurs, nous discutons actuellement avec des fabricants de jouets au Japon et aux Etats-Unis. L’objectif est de nouer des partenariats avec eux en vue de développer des jeux interactifs basés sur notre technologie.»
«Nous avons développé un lien très fort entre notre robot et Facebook, avec notamment une application qui permet de voir s’il est heureux.»
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Stemergie biotechnology, Genève
Etudier l’effet de médicaments
«La science et l’entrepreneuriat sont deux mondes complètement différents.» Virginie Clément, maître-assistante depuis mars 2007 à l’Université de Genève (Unige), ne cache pas les difficultés que rencontrent les scientifiques qui veulent lancer leur entreprise. «Les chercheurs ne sont absolument pas formés pour cela.»
Pourtant, la jeune chercheuse de 31 ans a officiellement lancé Stemergie Biotechnology SA, spin-off de l’Unige et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) en décembre 2009. A ses côtés, quatre autres cofondateurs: Daniel Leutenegger (CEO), Didier Coquoz (président du conseil d’administration), Ivan Radovanovic (responsable des recherches) et Denis Marino (technicien en analyse médicale).
Concrètement, Stemergie testera des molécules, identifiera des cibles thérapeutiques et développera des tests de diagnostic à partir de cellules souches cancéreuses.
«Ces cellules sont à la base des cancers du cerveau, explique Virginie Clément. Mais jusqu’ici, nous ne disposions pas d’outils permettant l’identification et la purification des cellules souches cancéreuses. Dans notre laboratoire de recherche au sein du département de neurochirurgie des HUG, nous en avons développé un et l’avons breveté. C’est sur la base de ce procédé que Stemergie va se développer.»
Après avoir reçu le soutien financier de Venture Kick en 2008 (10000 francs), le Prix de l’innovation des HUG en 2009 (10 000 francs), Stemergie cherchera en 2010 à lever d’autres fonds. «Nous avons besoin de 2,5 millions de francs pour les deux années à venir. Nous aimerions conclure cet accord d’ici à avril prochain.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.
