Fusions, acquisitions, changements de matériel… Les établissements de soins privés intensifient leur mutation en prévision de la révision législative de 2012. Enquête.
Mercredi 14 octobre, Chêne-Bougeries, Genève. La Clinique des Grangettes inaugure sa nouvelle unité d’urgences pédiatriques. Un bâtiment ovoïde, élégant et spectaculaire, sur quatre étages, dont deux en sous-sols, dessiné par l’atelier d’architecture Brodbeck-Roulet. Couleurs gaies, verre omniprésent, bois… l’espace se veut rassurant pour les enfants.
Côté médical, il abrite des salles de soins, des cabinets de consultation et des installations techniques dernier cri. Au total, l’investissement avoisine les 10 millions de francs, dont une partie a été prise en charge par la Fondation Wilsdorf (Rolex). «Nous projetons de construire un nouveau bloc opératoire dans les prochaines années, annonce Philippe Glatz, président de la Clinique des Grangettes. Et nous souhaitons édifier un bâtiment de lits pour accueillir des patients étrangers, à l’horizon 2012.»
Les cliniques privées se livrent toutes à cette course aux investissements. A Lausanne, la Clinique de La Source vient de fêter les 150 ans de son école d’infirmières en s’offrant un lifting. Après de nombreux travaux d’envergure (rénovation complète de la maternité en 2003 et nouveau bloc opératoire, entre 2007 et 2009), elle a achevé en 2009 la rénovation de ses façades. Et ce n’est pas fini! «Nous prévoyons un développement de notre Institut de radiologie», raconte Michel Kappler, directeur administratif de la Clinique de La Source.
La révision du financement des hôpitaux en 2012, adoptée par les Chambres fédérales en décembre 2007, représente un tournant majeur pour les établissements privés qui doivent revoir leur mode de financement et les pousse à assurer leur mutation dans les plus brefs délais. Elles ont le choix: Etre un établissement conventionné en négociation directe avec les assurances maladie, ce qui leur laisse la liberté d’entreprise, en renonçant à toute subvention. Ou toucher de l’argent de la Confédération, avec des contraintes, telle l’obligation d’accepter tous les malades.
«Toutes les cliniques cherchent à investir en prévision de la refonte 2012 de la Loi sur l’assurance maladie», confirme Christophe Gutknecht, directeur administratif de la Clinique Rousseau, à Genève. Pour survivre en régime totalement privé, nombre d’entre elles sont obligées d’investir dans du matériel plus moderne et plus rentable, tout en réduisant leurs frais de fonctionnement. «Si une clinique n’investit pas, elle met en jeu son avenir, estime Michel Kappler. Nous devons constamment consolider ce que nous avons déjà, tout en prévoyant l’avenir. Or, dans le domaine médical, tout évolue très vite, notamment les techniques. Pour rester à la pointe, nous devons consacrer chaque année 3 à 5% de notre chiffre d’affaires à notre développement.»
Dans cette course, les établissements trop petits ont du mal à s’en sortir. Il s’ensuit un mouvement de concentration, initié en 2005 avec le rapprochement des Cliniques Sainte-Anne et Garcia à Fribourg, lors de leur rachat par le groupe Genolier Swiss Medical Network (GSMN). «Le secteur va poursuivre sa consolidation, estime Rolf Lüthi, secrétaire général de l’Association suisse des cliniques privées. Certains établissements sont trop petits. Il est impossible qu’une clinique de 50 lits reste généraliste. De plus, la réforme de 2012 impose une réorganisation globale du secteur.»
Ainsi, début octobre, le groupe luxembourgeois Whirlwind Participations s’est offert, pour un montant non divulgué, les cliniques de Loèche-les-Bains (VS) qui comprennent un centre de rhumatologie et un de réadaptation neurologique. Objectif: créer un groupe de cliniques complémentaires en Valais. Le groupe possédait déjà la clinique médico-chirurgicale de Valère, à Sion. Le rapprochement de cette dernière, qui pratique des soins aigus, avec l’activité de réadaptation des établissements de Loèche-les-Bains, permet de proposer aux patients un ensemble de soins qui va du traitement en urgence à la rééducation.
Plus important réseau d’hôpitaux privés en Suisse romande, le groupe GSMN a signé le 22 octobre dernier l’acquisition de la Clinique Bethanien à Zurich. Cet établissement vient de s’ajouter aux cinq que possédait déjà GSMN, tous en Suisse romande.
«Cette opération a été financée sur fonds propres et via un crédit contracté auprès de la banque Migros, explique Antoine Hubert, administrateur délégué de GSMN. Le coût d’acquisition s’élève à près de 30 millions de francs, auxquels il faut ajouter 15 millions que nous comptons investir sur les trois prochaines années. Avec un chiffre d’affaires de 50 millions de francs par an, la clinique Bethanien sera notre deuxième site le plus important, derrière Genolier qui réalise entre 75 et 80 millions de francs.»
GSMN continue de scruter le marché pour d’autres opportunités d’acquisition. De plus, le groupe, qui compte réaliser en 2009 un chiffre d’affaires de 145 millions de francs, conduit en parallèle d’importants travaux de rénovation. «Nous prévoyons d’investir 10 millions de francs en 2010 à la clinique de Montchoisi, à Lausanne, pour créer un parking souterrain et étendre le plateau de radiologie», énumère Antoine Hubert.
Par ailleurs, le groupe a inauguré le 22 septembre la résidence médicalisée et sécurisée «Les Hauts de Genolier». Relié par un tunnel à la clinique, cet établissement de 63 chambres permet d’offrir des appartements à des personnes qui ont régulièrement besoin de soins, comme les personnes âgées. Selon GSMN, cette structure devrait générer 12 millions de chiffre d’affaires d’ici à 2011.
Autre mouvement de concentration: le rachat, en juin 2008, de la Clinique rive droite (CRD) par Réseau santé helvétique (RSH). Le rapprochement de ces deux entités a donné naissance à la Clinique Rousseau et conduit à un vaste programme de réaménagement. La Clinique Rousseau organise depuis octobre 2009 un regroupement de ses activités. Pour ce faire, l’établissement a repris la location d’anciens locaux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), rue Rothschild à Genève, pour les transformer en un véritable centre de soins.
D’ici à juin 2010, l’ensemble du bâtiment de huit étages sera ainsi complètement rénové, pour une somme non communiquée, mais «uniquement sur fonds propres», précise le directeur administratif Christophe Gutknecht. Au programme: construction de deux blocs opératoires, une vingtaine de chambres, des cabinets de médecins et des urgences.
«L’originalité de notre structure consiste à revenir à une pratique plus humanisée de la médecine, souligne le pédopsychiatre Nicolas Liengme, fondateur de RSH. En regroupant des activités de psychiatrie, de médecine, de chirurgie et de pédiatrie, nous pouvons traiter nos patients dans leur ensemble. Par exemple, nous savons que le traitement de l’angoisse entraîne de meilleurs résultats postopératoires.»
En période de crise, cette multiplication des investissements dans les cliniques peut surprendre. «Dans le domaine de la santé, la crise se répercute avec un effet retard, explique Philippe Glatz, président de la Clinique des Grangettes. En 2009, l’activité est restée similaire à l’année précédente. En 2010, nous nous attendons à une légère baisse, de quelques pour-cent, du chiffre d’affaires. Néanmoins, nous ne prévoyons pas de ralentir ou de repousser nos investissements car nous travaillons sur du long terme.»
Mieux, la crise pourrait en accélérer certains. «Avec la crise, c’est le moment d’investir, dit ainsi Fabrice Pfulg, directeur de Laclinic, dite «la clinique de la beauté», à Montreux. Les entreprises sont davantage disponibles pour faire des travaux et les prix sont bien moins élevés que ces dernières années.»
Seule ombre au tableau: la difficulté d’obtenir des fonds. «Nous n’observons pas de credit crunch, rapporte Antoine Hubert. Et il est clair que les banquiers sont davantage regardants lorsqu’il s’agit de signer des crédits par les temps qui courent…»