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La presse écrite à l’agonie?

Les journaux imprimés ont creusé leur propre tombe, de plusieurs manières. Ce bouleversement médiatique fait-il courir un risque à la démocratie ? Non, répond Henry Muller, ex-rédacteur en chef du magazine américain Time.

large220909.jpgUn peu partout dans le monde occidental, y compris en Suisse, on s’inquiète de l’avenir de la presse écrite. Non, il faudrait plutôt préciser: «Les journalistes s’inquiètent …» Car les lecteurs au-dessous d’un certain âge, disons 40 ans, y semble indifférents. Autrement, ils se mettraient à lire sur papier, comme le faisaient leurs parents, au lieu de puiser leurs infos sur Twitter ou Facebook.

Nulle surprise que cette tendance, comme tant d’autres, nous vienne d’outre-Atlantique. Là-bas, on n’est plus très éloigné du jour où certaines grandes villes se retrouveront sans un journal sérieux. Reste à savoir laquelle sera la première: Seattle, San Francisco ou Chicago?

La presse américaine a creusé sa propre tombe de plusieurs manières. Tout d’abord, elle s’est dotée d’un business model qui dépendait davantage des annonceurs que des lecteurs. Le prix des mass-médias imprimés a longtemps été dérisoire par rapport à leurs coûts de production et de distribution. Cette formule gonflait le nombre de lecteurs, ce qui réjouissait les annonceurs ainsi que les actionnaires.

Jusqu’au jour où les annonceurs ont découvert internet. Même avant la crise actuelle, la ruée des annonceurs vers la Toile a fait plonger les recettes des journaux et magazines d’actualité. Les médias classiques ont réagi en réduisant leur voilure journalistique, tout en prétendant qu’il ne s’agissait pas d’une diminution de coûts mais plutôt d’une adaptation aux habitudes des lecteurs, version XXIe siècle. Ça aussi, c’était une erreur. De la formule «vite vu, vite lu», on passe sans effort à «pas nécessaire de voir ni de lire».

Certains se plaignent que le déclin de la presse écrite sonne le glas de la démocratie. Holà, pas si vite! Nul besoin d’être un passionné de Twitter ou de Facebook pour reconnaître l’aspect «démocratique» de ces nouveaux moyens de communication. Nous l’avons bien vu en Iran. En fait, s’il y a un problème, c’est que ces sites sont parfois «trop» démocratiques en laissant n’importe qui dire n’importe quoi.

De toute façon, la bonne presse écrite ne disparaîtra pas. Le New York Times, la NZZ et bien d’autres journaux de qualité résisteront tant qu’ils satisferont un lectorat exigeant qui a la volonté de débourser autant pour un quotidien que pour son café. Peu importe si les informations arrivent sur papier ou sur écran.

La solution n’est pas, comme le proposent certains journalistes, de subventionner la presse. Mais il faudra des éditeurs voués à la qualité, qui ne sont ni les esclaves de chaque hoquet des marchés financiers, ni les sujets de conglomérats qui mettent un journal sur le même plan qu’une vidéo ou une cacahuète.

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Henry Muller figure parmi les journalistes les plus réputés des Etats-Unis. De nationalité americano-suisse, il a été rédacteur en chef du groupe Time Warner de 1993 à 2000 après avoir dirigé le magazine Time de 1987 à 1993.

De retout en Suisse, il travaille aujourd’hui comme conseiller de LargeNetwork, l’agence qui édite Largeur.com.

Une version de la chronique ci-dessus a été publiée dans le dernier numéro du magazine scientifique Reflex, en vente en kiosques.