Une multitude d’organismes œuvrent au niveau international pour surveiller l’économie. Ces structures pouvaient-elles prévoir la crise? La récession modifie-t-elle leur mandat? Enquête.
«Le problème des organismes censés surveiller l’économie, c’est qu’ils sont prisonniers de leurs propres modèles et de leur dogmatisme, juge Beat Bürgenmeier, professeur d’économie politique à l’Université de Genève. Or, l’économie n’est pas une science exacte.»
Faut-il pour autant accabler ces sentinelles qui, au niveau national et international, sont chargées d’anticiper les moindres soubresauts de l’économie? Le problème vient peut-être de leur mandat. Chaque organisme doit surveiller un secteur bien déterminé «alors même que tous ces secteurs sont interconnectés, notait récemment William Donaldson, l’ancien président de la Securities and exchange commission (SEC), le contrôleur des marchés américains, dans une interview accordée au journal Le Monde. Résultat: chacun contrôle un peu de tout mais aucun n’a une vision sur la globalité du système.»
C’est qu’en l’espace de quelques années, les investissements boursiers ont explosé, de nouveaux produits financiers ont été inventés et les marchés se sont mondialisés, conduisant à une augmentation effarante de données à gérer et, au final, à un fonctionnement beaucoup plus complexe du marché.
«En matière de surveillance, les règles sont devenues beaucoup trop spécifiques et comptables. Plus personne n’y comprend rien, estime Stéphane Garelli, professeur au prestigieux institut de management IMD, à Lausanne. Et comme la réalité bouge très vite, les sentinelles sont toujours en retard d’une guerre. Il vaudrait mieux s’en tenir à des principes généraux, tels que l’exigence de transparence ou d’une bonne capitalisation des entreprises, et donner aussi davantage de pouvoir aux autorités compétentes pour les faire respecter.»
À cet égard, le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy, plaide pour une régulation plus stricte de la finance internationale, qu’il a comparée, également dans Le Monde, à l’un des derniers «trous noirs» de la gouvernance mondiale. «Je crois que nous avons besoin d’une régulation internationale de la finance, avec des mesures contraignantes et un mécanisme de surveillance et de sanctions. Un bovin malade ou un briquet dangereux ne franchissent pas les frontières; un produit financier toxique le peut.»
Faute de mesures très concrètes, les dernières discussions au Forum de stabilité financière ont débouché sur un constat unanime des gouvernements: ils reconnaissent qu’une bonne appréciation du risque a fait défaut jusqu’ici. Ils se disent déterminés à renforcer leur coopération. Mais la nature exacte de cette collaboration demeure vague: «En matière de surveillance des marchés, autant la compétence nationale de la Suisse est étroite, autant la compétence internationale relève encore de l’utopie, estime Beat Bürgenmeier. L’exigence hégémonique des Etats-Unis et les divergences d’intérêts freinent la mise en place d’une surveillance globalisée.»
Il faut donc composer avec des compétences morcelées, et de surcroît fort incertaines en matière de pronostics. En Suisse, la Direction de la politique économique du Secrétariat à l’économie (Seco), notamment chargée d’effectuer des prévisions conjoncturelles, n’est pas épargnée par la critique. «L’orientation du Seco est devenue beaucoup trop idéologique et théorique, estime Beat Bürgenmeier. Il vaudrait mieux s’inspirer des Anglo-saxons qui ont fait de l’économie une science plus pragmatique, en procédant par tâtonnement. Cela permet une adaptation plus rapide lorsque le marché s’écarte de la loi normale.»
Pour autant, l’herbe n’est pas beaucoup plus verte ailleurs… «Aucun institut économique, y compris la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (FMI) ne parvient vraiment à prévoir le passage d’une phase de croissance à une phase de récession, relève Stéphane Garelli. Tant qu’on se trouve dans la même configuration, nous savons anticiper les tendances. En revanche, personne n’arrive jamais à prédire un bouleversement du système.»
«C’est vrai, admet Tobias Lux, porte-parole de l’Autorité suisse de surveillance des marchés (Finma). Il sera très difficile de prévoir la prochaine crise arrivera. Mais là n’est pas notre objectif premier. Notre priorité, c’est de renforcer la stabilité des banques suisses, afin qu’elles puissent absorber les futurs chocs. Pour cela, nous avons déjà fixé des exigences 20% supérieures aux normes internationales concernant les fonds propres dont doivent disposer les deux grandes banques suisses. Ce pourcentage a encore été augmenté en 2008, et d’ici 2013, en fonction des bénéfices réalisables, nous visons un pourcentage 100% supérieur aux actuels standards internationaux, de quoi constituer un bon filet de sécurité.»
Outre ces nouvelles mesures, la Finma dit avoir beaucoup renforcé la coopération avec ses homologues: «Ces 18 derniers mois, nous avons développés des contacts de plus en plus étroits avec Londres et New York.» En Suisse, la collaboration s’est également intensifiée: «Nous dialoguons davantage avec la BNS, qui dispose d’une vision macro-économique, ainsi qu’avec le département fédéral des finances.»
Devant la difficulté de mettre en place une sentinelle mondiale de la finance, une meilleure intégration des réseaux déjà existants, via Internet, pourrait constituer un début de solution, comme l’a suggéré Klaus Schwab, président du Forum économique mondial (WEF) de Davos, dans le journal Le Temps: «Les structures gouvernementales internationales devraient être complétées par des interactions sur Internet. Facebook ou Youtube font partie de la vie de nos enfants mais sont absents de nos institutions.»
Dans cette optique, un réseau social en ligne destiné aux leaders du monde entier a été mis en place le 31 janvier dernier, dans le cadre du WEF. Baptisée «Welcom», cette plateforme a pour but de réunir les grands décideurs, y compris ceux issus de la société civile, autour des enjeux économiques actuels. Si elle dépasse le strict cadre de la surveillance, cette initiative a au moins le mérite de proposer un outil commun dans un système encore trop fragmenté.
Les principaux organismes de surveillance
Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma)
L’ex-Commission fédérale des banques est dotée, depuis le 1er janvier 2009, de pouvoirs de surveillance étendus à l’égard des banques, des entreprises d’assurance et des bourses, notamment. Si nécessaire, et conformément à la loi, elle prononce des sanctions. La Finma compte 320 collaborateurs. Par collaborateur, elle possède davantage de moyens financiers que ses homologues américaines, anglaises et allemandes. Pourtant, seuls 25 experts surveillent les deux grandes banques suisses.
Banque nationale suisse (BNS)
Elle analyse les évolutions sur les marchés et doit assurer la stabilité du système financier, en collaboration avec la Finma (lire ci-dessus); un Memorandum of Understanding (MoU) délimite les tâches de chacune de ces institutions. De plus, la loi charge la BNS de la surveillance des systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres.
Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco)
Le Seco est le centre de compétence de la Confédération pour toutes les questions de politique économique. Sa Direction de la politique économique, qui regroupe une trentaine de personnes, s’occupe essentiellement d’analyses structurelles et de mesures de croissance. Des prévisions conjoncturelles, effectuées par un groupe d’experts, sont publiées périodiquement.
Forum de stabilité financière (FSF)
Le Forum de stabilité financière (FSF) rassemble les autorités financières nationales des pays du G7, ainsi que celles de l’Australie, des Pays-Bas, de Hong Kong, de Singapour et de la Suisse. Le forum rassemble également les banquiers centraux et les organismes financiers internationaux. Il a été fondé en 1999 par les ministres des finances du G7 et les gouverneurs des banques centrales et vise à promouvoir la stabilité financière internationale par un échange accru d’information en matière de surveillance et de contrôle des marchés financiers. Le forum est géré par un secrétariat établi à la Banque des règlements internationaux à Bâle. Au sommet du G20 du 15 novembre 2008, il a été convenu que le forum serait élargi pour inclure les économies émergentes comme la Chine.
Banque des règlements internationaux (BRI)
La Banque des règlements internationaux (BRI, ou BIS en anglais) est le lieu de dialogue des grandes banques centrales. Créée en 1930, elle est la plus ancienne institution financière internationale. Son siège se situe à Bâle. Elle emploie près de 600 personnes originaires d’une cinquantaine de pays. La BRI a comme mission principale de favoriser la coopération entre les banques centrales du monde et autres autorités financières, lesquelles en sont les actionnaires et forment son conseil d’administration. La BRI dispose d’un centre de recherche sur les questions stratégiques, auxquelles sont confrontées les banques centrales et autorités de surveillances du système financier.
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Une version de cet article est parue dans le Magazine Reflex.