KAPITAL

Entreprises suisses et e-business: la politique de l’autruche

Dans le cadre d’une étude sur l’e-business, le cabinet PricewaterhouseCoopers a interrogé les dirigeants de 200 compagnies suisses. Le tableau est inquiétant.

Je ne sais pas ce que vous en pensez mais moi, quand je regarde la situation du business électronique en Suisse, je me demande sérieusement si les sociétés qui composent notre paysage économique ont réellement compris l’importance et la profondeur des changements déjà en marche dans la nouvelle façon de faire des affaires et d’être à l’écoute de ses clients.

Faisons un rapide tour d’horizon régional et non-exhaustif pour mieux saisir la situation: la société Veillon n’a toujours pas de présence en ligne, Voegele en reste à une expérience pilote de boutique électronique et le grand libraire romand Payot se limite à une présence sur Edicom avec les livres du mois et les meilleures ventes.

Dans le domaine de la vente en ligne de disques, Fréquence Laser et Directmedia offrent des solutions intéressantes mais ne permettent pas l’écoute d’extraits musicaux.

Sur la Migros eShop, man spricht nur deutsch et sur la Coop, on nous offre une véritable percée technologique avec la traçabilité de la viande bovine bio sur internet…

Les transactions boursières en ligne constituent finalement l’un des rares domaines où la Suisse semble vraiment à niveau. Sans doute parce qu’un nouvel acteur, Swissquotes, a sauté à pieds joints dans le jardin secret des grandes banques et a réussi à leur ravir des parts de marché. Depuis lors, les grandes banques se retrouvent en position d’outsiders et investissent massivement dans leur solution de trading en ligne et en publicité dans les media pour combler leur retard.

Je ne dois pas être le seul à me poser des questions. L’été dernier, le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) a interviewé 200 chefs d’entreprises suisses afin de déterminer leur attitude, leurs sentiments, croyances et angoisses par rapport à ce qu’on appelle l’e-business.

Cette étude, baptisée «e-business made in Switzerland », est disponible en allemand, français et anglais et peut-être commandée sur le Net.

Avant d’aller plus loin, précisons la définition de l’e-business selon PwC: «L’e-business est l’intégration des systèmes, processus, organisations, chaînes de valeur et de marchés entiers grâce aux technologies et concepts d’internet ou en relation; le commerce électronique n’est qu’un sous-domaine de l’e-business limité essentiellement au marketing et à la vente online.»

Le premier élément qui ressort de cette enquête est un sentiment d’insécurité. La plupart des chefs d’entreprise perçoivent l’e-business comme un nouveau phénomène offrant d’importantes opportunités de développement, lesquelles restent néanmoins mal identifiées avec des risques associés mal évalués.

Le manque général de confiance dans l’internet, la difficulté à déterminer l’impact et les bénéfices apportés par l’e-business, le haut niveau d’investissement initial à consentir et la difficulté d’obtenir des profits à court terme sont les principales raisons qui conduisent nos dirigeants à rester dans l’expectative. Ils attendent le moment stratégique optimal pour investir.

Peu surprenant alors que l’e-business soit perçu comme moyennement prioritaire par 56% des sociétés, peu prioritaire par 28% des sociétés, et hautement prioritaire par seulement 16% des sociétés.

Politique de l’autruche? Pas seulement. Il y aussi le complexe de la page blanche. Faire de l’e-business, ce n’est pas ouvrir un site web et utiliser le courrier comme semblent le croire encore 84% des dirigeants interrogés par PwC. L’e-Business, c’est réinventer complètement son métier dans un monde en réseau où le client est plus volatile car mieux informé.

Dans les domaines où aucun leader n’est venu paver le chemin du succès, les entreprises suisses préfèrent, par peur de l’échec, attendre plutôt que défricher le terrain elles-mêmes. Dans les secteurs où un leader est clairement identifié, comme les services financiers, l’industrie des voyages, les librairies électroniques ou les médias, la stratégie est souvent celle du plagiat. Pour l’ensemble des sociétés interrogées, seulement 15% ont choisi d’adopter une stratégie de leaders, redéfinissant leurs métiers et explorant de nouveaux marchés, 53% optent pour le suivisme, et enfin 30% attendent de voir venir.

Le fait est que, dans un monde toujours plus compétitif, les pionniers ont l’opportunité d’élaborer et d’établir un nouveau modèle de marché, d’y associer leur nom, de conserver une longueur d’avance sur leurs concurrents et de devenir les premiers à engranger les profits.

Un exemple? D’Amazon.com et de Barnes&Nobles aux Etats-Unis, qui est le pionnier et qui est le plagieur? Amazon a surgi de nulle part, a inventé la librairie électronique et est venu mordre des parts de marché à la plus grande librairie traditionnelle des Etats-Unis.

Aujourd’hui, B&N essaie de rattraper le retard. Lourde tâche, car Amazon a accumulé quantité de commentaires de lecteurs et d’informations sur les habitudes d’achat de ses clients; de plus, l’entreprise de Jeff Bezos a établi une marque planétaire et s’est développée en Grande-Bretagne, en Allemagne. Pendant ce temps, B&N, le suiveur, est resté strictement américain.

Heureusement, l’étude de PwC montre que l’attitude des dirigeants varie radicalement suivant les secteurs. Les entreprises actives dans les domaines de la haute technologie, de la communication et des médias s’attendent à ce que leurs marchés deviennent plus compétitifs, et cherchent la réponse dans l’e-business: ainsi, 41% adoptent une stratégie de leader contre 15% qui font preuve d’attentisme. Pour 33% de ces entreprises, l’e-business est perçu comme hautement prioritaire, et, pour 43%, comme moyennement prioritaire. L’étude ne mentionne pas le poids des entreprises actives dans ces secteurs par rapport au total des entreprises consultées.

Après la lecture de cette étude, j’ai l’impression que PwC a voulu en quelque sorte tirer un signal d’alarme, et montrer aux dirigeants les dangers de l’attentisme. Avec une révolution comme celle de l’e-business, il est toujours plus sage de prendre des risques.