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Trois lapins de Pâques politiques

Avec ses belles oreilles, qui n’en croquerait? Le produit est pourtant largement frelaté. Comme certaines idées apparues récemment dans l’actualité: tirer sans nuance sur les paradis fiscaux, vénérer les martyrs de Guantanamo, se repentir de son obamania.

Le lapin de Pâques, c’est dégueulasse. Objectivement. Le plus grossier, le plus industriel, le moins goûteux des produits chocolatés. Pourtant qui n’en raffole? Exemple saisissant où la forme (ah, croquer les oreilles!) et la circonstance (Pâques sans lapin créerait un manque fort désagréable) fait oublier l’indignité du fond: des déchets de chocolat.

Dans la jungle politique qui s’apparente, puisque l’on est en Suisse, plutôt à une garenne, quelques curieux lapins de Pâques gambadent innocemment en cette timide orée de printemps. L’on reparle ainsi des détenus de Guantanamo. Un groupe d’experts mandatés par le Conseil fédéral planche sur la façon de les accueillir en Suisse, si une telle décision est prise. Parmi les problèmes évoqués, celui de l’encadrement psychologique. Dame, c’est qu’ils en ont vu de toutes les couleurs, les hommes aux tuniques orange.

Le quotidien «Le Temps » suggère de recourir à des structures spécialisées de la Croix-Rouge. Dont l’une des responsables explique que ce genre de personnes «vivent dans un état d’hypervigilance, comme si elles devaient encore craindre pour leur vie, sont apeurées, ont des insomnies et sont hantées par le fait de revivre des scènes de torture».

En vitrine, tout cela est juste et noble. L’air doucereux du moment et la surface onctueuse des choses veulent que Guantanamo ait été peuplé de martyrs respectables. Pourquoi pas? Mais dans le fond, à l’aune de l’incarcération arbitraire moyenne, ils seraient plutôt des privilégiés. Qui se souvient des conditions de détention qui régnaient, au hasard, sous Saddam Hussein?

Le génial romancier britannique Ian Mc Ewan, avec son livre «Samedi», truffé de témoignages authentiques, peut nous aider à retrouver la mémoire: «Des cellules à l’air vicié sans la moindre ouverture où s’entassaient vingt cinq prisonniers.» Avec au menu quotidien «passage à tabac, électrocution, sodomies forcées, semi noyades, plantes des pieds tailladées».

Et cela pour des gens «tout à fait ordinaires, envoyés là pour défaut de plaques minéralogiques, pour une dispute avec quelqu’un qui s’était révélé être un cadre du Parti, ou parce qu’à l’école on avait obligé leurs enfants à répéter les critiques contre Saddam prononcées à la table familiale.»

Mais ces prisonniers-là n’ont pas d‘existence, face à la visibilité de leurs homologues de Guantanamo qui bénéficient d’un avantage aussi irrésistible que les oreilles du lapin: avoir été les victimes des barbares Américains.

Autre frénésie de forme sur un minimum de fond: le retournement soudain de l’obamania. La façon tout à fait exceptionnelle dont Obama a entamé son mandat, avec une rénovation évidente du discours et de l’acte politique, dans un dosage subtil de volontarisme et d’équité, d’idéalisme et de pragmatisme, ne pèse rien face à un reproche absurde, mais gagnant chaque jour un peu plus d’audience. Tel que formulé par exemple, sur les ondes de la Première, dans une chronique maison: «Barack Obama ne se distingue en rien de ses prédécesseurs. Il agit comme eux dans le seul intérêt des Etats-Unis».

Bref, on accuse le président de faire exactement ce pour quoi il a été élu. Dans foulée, on lui colle de petites mesquineries sentant bon le cliché anti-yankee. Le voilà dépeint comme un «missionnaire en exercice, dans le plus pur style des prédicateurs américains, voire des plus célèbres des télévangélistes, à la tête d’une puissance mondiale qui considère comme normal d’imposer ses normes à la planète entière. Y compris à la Suisse dans le domaine de la fiscalité.»

Et voilà, à contrario, un troisième lapin qui pointe son mignon museau. Cette sorte de soulagement autour du cadavre du secret bancaire, autrement dit de la défunte omerta fiscale. La Suisse lavée de son péché originel. Mais si on creuse un peu l’intérieur de ce joli lapin désormais tout blanc, on pourrait commencer à se dire avec le vice-président des Jeunes radicaux suisses Philippe Nantermod, que tout paradis, fut-il fiscal, suppose un enfer, qui dans ce cas le suscite.

Et que l’idée de dresser une liste noire des enfers fiscaux n’a rien d’idiot, avec la France en bonne place. Oui la France et son bouclier en trompe-l’œil. Un bouclier à 60% ça signifie quoi? Que l’Etat n’a pas le droit de vous ponctionner plus que 60% de vos revenus.

En soi, n’importe qui devrait trouver cela insupportable. Puisque cela équivaut à travailler plus sept mois par année pour l’Etat, c’est-à-dire pour les autres, donc, en psychologie humaine de base, pour des prunes. Mais la longueur des oreilles et le poids des circonstances — cadeaux aux riches, nantis planquant sournoisement leurs noisettes — fait oublier une dure vérité mathématique: qu’un impôt à ce niveau-là ressemble diablement à de la spoliation.