Les plans keynésiens prévus par les Etats accordent une large place aux technologies propres. Mais leur efficacité n’est pas garantie et de nombreux experts restent sceptiques. Panorama.
A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Après des années de déréglementation et de laisser-faire, l’économie mondiale renoue avec l’interventionnisme. Les Etats du monde entier rivalisent dans l’annonce de grands projets de relance censés redynamiser durablement une machine désespérément grippée.
Dans ce contexte, le keynésianisme connaît une seconde jeunesse. La vieille doctrine économique revient aujourd’hui sur le devant de la scène complétée d’aspects verts, comme le démontrent la multitude de plans mis sur pied par les gouvernements.
Celui de Barack Obama, qui devrait permettre de réduire à long terme de 80% les émissions de gaz à effet de serre, prévoit de doubler la part des énergies renouvelables, d’améliorer l’efficacité énergétique de 2 millions de logements (sur un total de 110) et de rénover plus de trois immeubles gouvernementaux sur quatre.
De son côté, l’Union européenne souhaite produire d’ici à 2020 un cinquième de ses besoins en énergie électrique au moyen d’énergies renouvelables. La Chine veut quant à elle faire passer sa capacité éolienne installée de 5,9 aujourd’hui à 30 GW dans une dizaine d’années.
Ces politiques ne représentent toutefois pas une solution miracle pour sortir de la crise. Un effet écologique positif n’implique pas forcément un effet de relance sur l’économie. «L’impact des plans de relance ne sera visible qu’au travers des secteurs où l’Etat représente le principal client, résume César de Brito, spécialiste en technologies vertes à la banque Lombard Odier Darier Hentsch & Cie. On peut se montrer optimiste dans les domaines de la construction d’infrastructures, surtout ferroviaires. Toutes les sociétés d’ingénierie civile et de transports publics seront favorablement affectées. En revanche, dans le secteur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, où l’Etat n’est pas client, les plans n’auront qu’un faible impact direct.»
Le bémol ne s’arrête pas là. Par définition, les plans de relance servent à renforcer la demande lorsque celle-ci baisse. Or, ce n’est actuellement pas le cas dans le domaine des énergies renouvelables: «A titre d’exemple, l’objectif du président Obama de doubler les énergies renouvelables en trois ans ne fait que maintenir le rythme de croissance déjà observé par cette industrie ces 3 dernières années », observe le banquier.
Dès lors, s’ils souhaitent lutter efficacement contre le réchauffement climatique et renforcer les investissements à long terme dans les technologies vertes sans creuser les déficits publics, les gouvernements doivent avant tout favoriser l’accès au financement et instaurer un cadre réglementaire favorable. Notamment grâce à des mesures fiscales incitatives, comme celles comprises dans le plan américain.
Directeur du laboratoire d’énergie solaire et de physique du bâtiment à l’EPFL, Jean-Louis Scartezzini estime qu’il faudrait aller plus loin: «L’internalisation des coûts externes, tels que les dommages à l’environnement et les conséquences probables des changements climatiques dans le prix des biens de consommation et de l’énergie, reste, à moyen et long terme, la seule approche permettant de réduire les distorsions du marché».
Plus généralement, une mesure incitative efficace consisterait à redistribuer l’argent directement au consommateur par le biais de baisses d’impôts pour les revenus faibles et moyens.
Or, la pente actuelle se dirige plutôt vers les aides ciblées, qui ne sont autre chose que des subventions étatiques ne donnant qu’«une impression de précision et d’efficacité», comme le regrette Charles Wyplosz, professeur d’économie à l’institut de hautes études internationales et du développement de Genève: «Elles enthousiasment les technocrates, qui peuvent à nouveau manœuvrer les leviers de commande et plaisent aussi bien à gauche, grâce à l’illusion d’un retour de l’Etat, qu’à droite, parce que l’argent va à l’establishment industriel. Les contribuables et les employés ne devraient pas se laisser tromper, ajoute l’économiste. Ce sont eux qui rembourseront la dette. Ils ont donc le droit et le devoir de demander que leur argent soit bien dépensé.»
«Stimulus verts»: les plans des différents Etats
Au total, les dépenses de relance annoncées dans le monde dépasseront selon le groupe de services financiers Nomura 2’500 milliards de dollars. Une partie de cet effort se verra attribuée exclusivement à des mesures environnementales. Tour d’horizon.
Etats-Unis
Le plan de Barack Obama vise à promouvoir les énergies renouvelables, les infrastructures vertes et les réseaux électriques. Le président souhaite atteindre une couverture de 25% de la consommation nationale des Etats-Unis en énergie électrique à partir des énergies renouvelables et voir rouler un million de voitures hybrides sur les routes américaines en 2015. «Le retard des USA dans le domaine de l’automobile est très important, rappelle Jean-Louis Scartezzini. C’est pourquoi le président Obama s’inspire de certaines dispositions européennes, comme la mise en place d’un marché national contraignant d’échanges de permis d’émissions de CO2 pour atteindre ses propres objectifs nationaux.»
Ceux-ci sont-ils réalisables? «La nomination de Steven Chu, prix Nobel de physique et avocat des énergies renouvelables en tant que Secrétaire à l’énergie constitue en tous les cas une indication claire de la nouvelle orientation que le président souhaite donner à la politique énergétique des Etats-Unis», remarque le professeur.
Europe
Outre l’investissement dans les énergies renouvelables, les pays de l’UE prévoient d’augmenter les efforts dans les transports propres, les infrastructures vertes et les produits de consommation verts. Certains pays européens n’ont pas attendu la crise pour promouvoir les technologies vertes. C’est le cas de l’Allemagne qui a favorisé le développement d’un marché de 20 milliards d’euros et la création de près de 200’000 emplois dans le secteur des énergies renouvelables: entrée en vigueur courant 2000, la loi fédérale «Erneuerbare-Energie-Gesetz», a permis de porter la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité du pays à plus de 12%.
Asie
La Chine prévoit un plan colossal de plusieurs centaines de milliards de dollars alloués notamment à l’augmentation de sa capacité éolienne (voir plus haut). Le Japon compte injecter 7,5 milliards de dollars au travers de projets «clean coal», de même que dans les efforts de réduction de gaz à effet de serre. La Corée du Sud, enfin, a annoncé 38 milliards de dollars sur 4 ans destinés aux infrastructures vertes, aux voitures hybrides et aux maisons vertes.