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Tu t’es vu quand tabou?

Etre conseiller fédéral, ce n’est vraiment plus ce que c’était. Etre radical non plus. Tout commence pourtant bien ce jour là, lorsqu’un photographe de L’Illustré mitraille sur la place fédérale l’infortuné Eric Buchs, père de Bogdan Buchs, l’une des recrues décédées l’an passé à la Jungfrau. Un homme qui régulièrement déclare sa haine pour Samuel Schmid dans des médias tout heureux de l’accueillir.

Puis, comme le raconte le dernier numéro de l’hebdo people, passe soudain (mais qui donc?), oui, Pascal Couchepin. Interpellé par Buchs, notre grand président, fidèle à sa légende, y va sabre au clair. Et explique que, un, il n’y a pas de plus grand honneur que mourir pour la patrie. Que, deux, son père à lui est d’ailleurs mort en service. Et que, trois, dans ce drame de la Jungfrau, «la vraie victime, ce n’est pas vous, mais votre fils».

Voilà qui est propre, net, sans bavure, bien conforme à la constitution et au catéchisme radical. A la mystique glorieuse du citoyen soldat. Et puis patatras, changement de décors, tout vacille à Zimmerwald, nouveau lieu de la sortie annuelle du même Couchepin.

Tandis que le ministre s’affirme partisan du botellon (sans doute pas pour la raison que donne le sociologue Gabriel Bender à l’absence de telles manifestations en Valais — «ici c’est botellon toute l’année»), le conseiller administratif genevois Pierre Maudet, qui était de la partie, se déclare, lui, en faveur de la fin de l’obligation de servir.

Qu’une telle levée de baïonnette contre le tabou d’entre les tabous — tout Suisse naît soldat — vienne des femmes socialistes ou des têtes folles du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) passe encore. Mais d’une éminence radicale, capitaine à l’armée en plus, voilà qui semble renversant.

D’ailleurs tout le monde a vite remis à sa place l’impertinent Maudet. Sauf que, quelques jours plus tôt, la vox populi avait commis le même sacrilège: 54% des Suisses, certes pour des raisons parfaitement hétéroclites — de la suppression totale de l’armée à la professionnalisation des troupes — se prononçaient aussi pour cette disparition de l’obligation de servir.

Les casques à boulons de tout bord feraient donc bien d’y prendre garde: le service militaire obligatoire fait peut-être partie de ce genre de citadelles imprenables dont on semble sûr qu’elles seront toujours debout, jusqu’à la fin des temps, mais qui, un beau jour, sans prévenir, se désintègrent d’elles-mêmes. Comme l’URSS ou le Servette FC.

Pendant ce temps, un autre tabou de taille se craquelle chaque jour un peu plus: la sacralisation de la fonction de conseiller fédéral. Un principe qui faisait que, sauf crime contre l’humanité, on n’attaquait pas un membre du gouvernement. Mais voilà, il y a cinq ans, un mois de décembre, des petits malins, essentiellement radicaux, ont ouvert la boîte de Pandore en éjectant brutalement Ruth Metzler de son fauteuil ministériel. Avec le succès que l’on sait et une rebelote quatre ans plus tard, l’arroseur blochérien se trouvant à son tour arrosé.

Depuis, se sont installés dans le petit monde politique suisse des envies de meurtre, un goût immodéré pour le sang qui était envié à nos voisins français. Oui, désormais, bientôt plus un jour sans qu’un conseiller fédéral ne soit sommé de démissionner. Un coup Schmid, un coup Calmy-Rey, attaquée de front cette semaine par le si gentil PDC. Plus personne ne peut parier les yeux fermés que le gouvernement terminera la législature dans sa composition actuelle.

D’une telle évaporation de mythes nationaux, faut-il se réjouir?

Si l’on comprend bien que la vision quasi génétique et métaphysique du service militaire, qui prévalait depuis la fondation de la Suisse moderne, n’est plus du tout en phase avec le sentiment contemporain de l’existence et de la société, on ne voit pas bien en revanche ce que le pays aurait à gagner d’une vie politique réduite, comme un peu partout ailleurs, à une déchirante bataille d’ego.