Sur la page d’accueil de son site internet, le club Women on Success joue la provocation: un homme en costume blanc, réduit à la taille d’un hamster, tourne dans sa roulette sous le regard narquois et néanmoins attendri d’une belle blonde en camaïeu rose.
Le ton est donné. En marge des réseaux féminins orientés vers le business et le développement personnel, l’effronté Women on Success s’affirme d’abord comme un lieu de distraction destiné aux « femmes glamour et uniques ».
« Nous avons voulu nous distinguer des autres clubs, explique Marie-José Joly, initiatrice de la formule, importée de Belgique. J’ai souvent constaté que les femmes d’affaires qui occupent des postes à responsabilité se masculinisent pour endosser leur fonction. Pourtant, nous sommes des femmes avant tout! C’est pourquoi, lors des soirées que nous organisons, nous mettons en avant la féminité et la sensualité. »
Ces réceptions fastueuses, sponsorisées par des partenaires haut de gamme, se déroulent dans des hôtels de luxe. Elles réunissent à chaque fois environ cent-cinquante femmes d’affaires, venues sur invitation échanger leurs cartes de visite autour d’une soirée à thème.
Après les réceptions de Genève et Lausanne, qui avaient pour leitmotiv la séduction et Bollywood, la dernière fête en date, à Gstaad, conviait ces dames à une soirée Spécial Magie (The Magic Women’s Night), avec en prime, la participation du mannequin Adriana Karembeu.
Comme à chaque réunion, des stands de mise en beauté (maquillage et manucure), de shooting photo, et même une voyante dépêchée de Paris, égayaient les festivités. Lors de la soirée lausannoise, c’est une troupe de Chippendales qui faisait partie du programme. Diable!
« L’un des buts est que les invitées redécouvrent leur féminité oubliée, qu’elles prennent soin d’elles, justifie Nadine Thalmann, ex-Miss Beauté Romande, chargée des relations publiques pour Women on Success. Les réseaux féminins sont complémentaires, notre offre correspond à un marché de niche. »
« En ce qui concerne la page d’accueil du site (l’homme-hamster, ndlr), nous l’avons reprise telle quelle de la version belge, mais elle ne correspond pas à l’image que nous souhaitons donner, insiste Marie-José Joly. Une nouvelle page d’accueil plus élégante est prévue. »
Nouvelle venue aux soirées Women on Success, Dominique Chausse, 45 ans, fondatrice de Féminance, une société de gestion de fortune dédiée aux femmes, se dit enchantée par la formule:
« J’ai pris part avec beaucoup de plaisir à la soirée de Gstaad. Ce concept permet de tisser des contacts dans une ambiance ludique et décontractée. On vient pour se faire plaisir, s’accorder un peu de bien être. C’est vrai que nous avions l’air de jeunes filles, à nous faire maquiller et masser les mains. Mais c’était drôle! Toutes les femmes présentes étaient contentes de la soirée. »
Et les Messieurs dans tout ça? À Gstaad, maris et compagnons des Women on Success étaient les bienvenus dès 20 heures (les femmes arrivaient à 18 heures). « Nous n’avons évidemment rien contre les hommes… Notre démarche n’est ni revendicatrice, ni féministe; elle permet juste de mettre des femmes en relation, afin qu’elles s’aident et se soutiennent. »
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Mettre fin aux carences
La mise en réseau, précisément, voilà qui rapproche Women on Success des organisations plus classiques qui se multiplient d’année en année. Plus ou moins formelles ou discrètes, ces associations sont parfois locales, souvent nationales, voire affiliées à de puissants lobbies européens ou mondiaux.
Parallèlement aux réseaux existants depuis des décennies, tels que le Business & Professional Women (BPW, le plus important en Suisse avec 2500 membres) ou le Career Women’s Forum (CWF), qui fête cette année ses vingt-cinq ans, de nouvelles structures ont récemment vu le jour, à l’instar de l’association Pacte dans le canton de Vaud, ou encore du Club de femmes entrepreneurs (CFE), actif dans les cantons de Genève, Fribourg et Neuchâtel.
Mais pourquoi des réseaux exclusivement féminins? « Pour éviter que les carences ne perdurent, explique la juriste Marie-Claude Paillard, co-présidente de la section lausannoise du BPW. Par tradition, les hommes ont davantage l’occasion de réseauter, via l’armée ou les sports d’équipe, par exemple, qui sont des activités plus spécifiquement masculines. En revanche, les mères de famille actives professionnellement manquent de temps pour tisser des contacts dans le monde du business. En Suisse, l’absence de politique familiale efficace n’arrange rien. Les crèches et autres structures d’accueil pour les enfants sont surchargées. »
« En la matière, les pays scandinaves disposent d’une grande avance, renchérit Caroline Miller, présidente du Career Women’s Forum (CWF), basé à Genève. En Suisse, l’accès aux postes à haute responsabilité reste très souvent fermé à la gent féminine. Dans les conseils d’administration, on ne dénombre que 2% de femmes. Et cette situation dure depuis vingt ans. »
En s’organisant en réseaux, les femmes parviennent ainsi à mieux faire entendre leur voix dans l’univers de l’entreprise. Et si l’on en croit Caroline Miller, responsable du recrutement stratégique mondial pour Lloyds International Private Banking, le procédé s’avère très efficace:
« Contrairement à certaines idées reçues, les femmes se soutiennent et s’entraident davantage que ne le font les hommes, surtout soucieux de leur autopromotion. L’approche féminine est plus spontanée, sans la nécessité de se renvoyer l’ascenseur. Cette cohésion des femmes fait peur à beaucoup d’hommes. Pourtant, notre démarche ne se veut pas du tout agressive ou revendicatrice. D’ailleurs, nous faisons régulièrement appel à des conférenciers masculins. »
Résolument ouvert sur l’extérieur, comme d’autres réseaux féminins, le Career Women’s Forum collabore avec des banques privées, le célèbre institut de management IMD ou encore le CICR. Cette année, un nouveau programme de mentorat a même été mis en place avec l’université de Genève.
Originalité du concept: il s’adresse aussi aux hommes. « Trente-huit étudiantes et étudiants en fin de cursus académique profitent actuellement d’entretiens personnels et de conseil en carrière avec des femmes dirigeantes, explique Caroline Miller, convaincue par la formule. Il est important que les jeunes hommes, aux portes de la vie actives, bénéficient aussi de modèles féminins de management. »
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Témoignage: « Entre femmes, on se livre davantage sur sa vie personnelle. »
Michèle Longpré, experte en projets multi-acteurs, indépendante (Gordian Consultants). Membre du Career Women’s Forum (CWF) et du Geneva Women in International Trade (GWIT):
« J’ai rejoint le Career Women’s Forum (CWF) de Genève en septembre 2005, à un moment où je souhaitais changer d’orientation professionnelle. J’étais dans la formation et l’éducation à ce moment là. »
« J’avais auparavant engagé une coach qui se trouvait être la vice-présidente du CWF. C’est elle qui m’a conseillé de rejoindre l’association pour élargir mon cercle de relation et échanger des informations professionnelles. Cela m’a vraiment beaucoup aidé. »
« J’ai pu tisser de nombreux contacts et développer mon réseau. Et grâce aux conférences organisées tous les derniers lundi du mois, l’horizon s’élargit encore plus.
Entre femmes, on se sent tout de suite à l’aise pour se présenter et discuter. »
« Nous nous livrons davantage sur des sujets qui nous concernent de façon personnelle. On entend parfois dire que les femmes ne s’entendent pas entre elles. Je trouve qu’il s’agit d’un cliché. À mon sens, l’esprit de compétition qui nous anime est différent de celui des hommes, je dirai, plus intériorisé. »
« En ce qui me concerne, je suis motivée pour améliorer mes propres performances, faire plus; je cherche à me dépasser plutôt qu’à dépasser quelqu’un d’autre, à faire mieux que lui ou elle. »
« Je fréquente également d’autres organisations, comme le Geneva Women in International Trade (GWIT), mais aussi Rezonance ou Trainers Exchange Network (TEN), qui ne sont pas des réseaux spécifiquement féminins. D’ailleurs, la participation à des réseaux mixtes est encouragée au CWF. Il n’y a aucun militantisme féministe dans notre démarche. Je cherche avant tout à nouer des relations dans un contexte agréable. »