LATITUDES

Genevois, même en privé, il vous est interdit de fumer

Dès juillet, le règlement sera particulièrement sévère: interdit d’allumer une cigarette même lors de soirées privées comme un dîner de mariage. Surprises.

L’interdiction de fumer à Genève, qui entre en vigueur en juillet 2008, va décidément bien changer les habitudes sociales. Les futurs mariés de l’été se rendent-ils compte qu’ils pourraient écoper une amende allant jusqu’à 10’000 francs si l’un de leurs invités allumait une cigarette durant la réception?

C’est que la définition d’établissement public tel que prévu par la réglementation concerne à peu près tout lieu hors du logement privé. «Comme l’initiative avait notamment pour but de protéger le personnel de service, il est clair que le règlement s’appliquera aussi à ce genre de cérémonies», confirme Corina Wieland-Karsegard, l’une des auteurs du texte, juriste au Département de l’économie et de la santé (DES).

Dans le règlement rédigé suite à la votation du 24 février subsistent toutefois de petits interstices par lesquels la fumée pourrait encore se faufiler en société. On dénombre trois cas limites: les cercles privés, les clubs sportifs (!) et les cantines. Des lieux qui sont cités sous la rubrique «Etablissements à caractère privé» dans le règlement d’exécution de la loi genevoise sur les débits de boissons, et qui échappent de fait au nouveau règlement.

De drôles d’anomalies, en vérité… «On s’entraîne puis on en grille une, bravo le sport», ironise Laurent Terlinchamp, directeur de l’Association genevoise des cafetiers. Plus pragmatique, Bernard Dumont, propriétaire de la discothèque la SIP, voit là une issue possible pour contourner l’interdiction: «On y a pensé sous forme de gag, mais pourquoi ne pas envisager un coin baby-foot dans notre club?»

Corina Wieland-Karsegard s’étonne pour sa part de l’exception des cantines où, comme dans la plupart des mariages, du personnel se charge du service. «C’est typiquement le genre de questions qu’il faudra régler au cours de la mise en pratique.»

Ça tombe bien, le DES organise des consultations avec tous les partenaires concernés depuis le début de la semaine afin de résoudre les problèmes que soulève l’application du règlement. «Représentants des cafetiers, des hôteliers, du Service du commerce, de la gendarmerie, de la Ville et de l’Etat vont se retrouver pour rédiger un vade-mecum qui déterminera par exemple la marche à suivre, au cas où une bande de costauds allume une cigarette à 4 h du matin dans un bar. Il précisera également le champ d’application du règlement», explique Carmelo Lagana, secrétaire adjoint au DES.

On saura donc mieux à l’issue de ces consultations si une entreprise peut se lancer dans la restauration fumeuse sous prétexte que sa cantine passe pour privée aux yeux de la loi, si les bowlings échappent à la prohibition ou encore si les cercles privés sont l’avenir du clubbing à Genève.

Concernant cette dernière éventualité, envisagée par certains professionnels, on secoue énergiquement la tête du côté des services publics: «Un dancing déguisé sous cette forme n’est pas du tout réaliste», répond une gestionnaire du Service du commerce. Ses arguments? «Les cercles privés doivent poursuivre un but idéal non lucratif. Ses membres doivent être réunis en association. En outre, il est interdit de faire de la publicité ou des demandes d’adhésion à l’entrée.»

Malgré toutes ces chicanes, on peut imaginer la constitution d’une «Association des amis de la musique électronique» qui tiendrait ses réunions chaque semaine dans une discothèque fumeurs de la ville louée pour l’occasion. La loi indique qu’il est permis aux membres d’emmener des invités «à condition que le caractère privé soit sauvegardé». Elle ne réprouve pas la vente de boissons, ne dit rien non plus sur le personnel. Cela semble donc jouable. «On y a pensé, avoue Bernard Dumont, le patron de la SIP. Mais le Service du commerce fait tout pour décourager les candidats en posant des exigences démesurées comme de donner les noms de tous les membres.»

La brèche pourrait venir des parlementaires et de leurs amendements. Le règlement actuel n’est qu’un texte provisoire qui ne fait pas office de loi. Celle-ci sera écrite et soumise au Grand Conseil dans le courant de l’année. A moins qu’une législation fédérale ne vienne chambouler les bonnes résolutions genevoises et ajoute quelques exceptions à la liste actuelle. Celle-ci comprend les cellules de prisons, les chambres individuelles des hôpitaux, cliniques et maisons de retraite et les locaux de dégustation des commerces de tabac.

«Nous avons pensé aux personnes qui ne peuvent pas sortir», souligne Corina Wieland-Karsegard. Des exceptions peu au goût des initiants qui souhaitaient une interdiction totale: «Ils ont trouvé ces amendements scandaleux», avoue la juriste…

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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo.