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Blocher bégaie et ne sait plus où il en est

Les nuages accumulés sur le palais fédéral depuis le mercredi 12 décembre commencent à se dissiper. On voit mieux ce qui nous attend au cours des prochains mois. A commencer par le gouvernement: les sept conseillers fédéraux vont retrouver des conditions de travail normales, collégiales sinon amicales. Sereines, en somme.

Les années Blocher où chacun devait longuement peser chaque mot prononcé de crainte qu’ils ne lui reviennent en travers de la figure seront vite oubliées.
Ce que l’on sait de la nouvelle venue, Evelyne Widmer-Schlumpf, est loin d’être décourageant. Les milieux médiatiques et politiques n’ont eu de cesse, avec une touchante unanimité, de la présenter comme très à droite, à droite de la droite. Comme s’il s’agissait de rassurer l’électorat UDC et ses élus.

Or le portrait qui émerge au fil des interviews est celui d’une femme acquise depuis toujours au vote et au travail des femmes et à une politique sociale. A des années lumières du KKK (Kinder, Küche, Kirche) blochérien. Sur l’Europe aussi elle tranche singulièrement avec la position du Chef, défendant le jeu des bilatérales (même avec les galeux roumains et bulgares) dans l’attente d’une adhésion qui lui paraît inéluctable.

Avouez que pour une politicienne censée être à la droite de la droite antieuropéenne, c’est assez modéré! On jugera aux actes.

La surprise vient surtout de la subite modération de Blocher lui-même. Alors que sous le coup de l’émotion (c’est là qu’on voit qu’il n’est que l’avatar du vrai Chef qu’il peint dans son livre), il vouait ses adversaires aux gémonies et annonçait l’entrée de l’UDC dans l’opposition, il a vite dû en rabattre devant les impératifs de la réalité.

Comment un parti de notables réactionnaires qui s’alimente depuis presque un siècle au riche râtelier du pouvoir pourrait-il passer d’un jour à l’autre à l’opposition? J’ai bien rigolé en voyant l’étonnement de je ne sais plus quel conseiller d’Etat UDC à qui un journaliste demandait si suite à la nouvelle ligne du parti, il s’apprêtait à démissionner pour entrer dans l’opposition.

En réalité, depuis son échec, Blocher bégaie et ne sait plus où il en est. Même son retour à la présidence de l’UDC a un parfum de déjà-vu, de remake raté. C’est donner «Les sept mercenaires» à voir à qui s’est délecté avec la version longue des «Sept samouraïs». Il n’est pas évident qu’il s’y risque.

Pour le reste, au parlement, il pourra certes pinailler sur quelques détails, mais pour quelqu’un habitué à viser les sommets, l’enjeu ne fait pas le poids. Où chacun craint de le retrouver, c’est au niveau de la démocratie directe, du référendum et de l’initiative.

Car l’homme et sa garde rapprochée sont indiscutablement les champions de l’appel au peuple. C’est d’ailleurs là qu’Ueli Maurer a promis de mettre la pression. Une vingtaine d’initiatives sont déjà en gestation, précisait-il dans Le Temps (15/12).

Il oublie une chose: un recours trop systématique aux votations populaires pourrait tuer la poule aux œufs d’or du populisme. La démocratie directe à la suisse est en effet, dans une démocratie moderne et fonctionnelle, une extravagance que seule le conservatisme bon enfant de nos institutions a permis de conserver.

Cela marche tant que l’on traite de questions secondaires ou marginales (les réfugiés, le paysage, etc.) mais en aucun cas lorsque qu’il s’agit des grandes options politiques. Dans les années 1970, la lutte contre l’introduction de la TVA a fini par buter contre les nécessités fiscales.

Plus récemment, l’acceptation de l’initiative des Alpes a commencé par provoquer la stupeur des milieux économiques, puis des armées d’avocats se sont mises en quête des moyens de la contourner.

Il ne faut pas oublier qu’une des causes de l’introduction de la formule magique dans les années 1950 fut justement de combattre les excès de la démocratie directe. Ce à une époque où les médias n’avaient ni le pouvoir ni la vitalité qu’ils ont aujourd’hui et où la récolte des signatures n’avait pas encore ses professionnels. A l’origine de cette crise, la démission d’un conseiller fédéral socialiste, Max Weber, tombé suite à une votation référendaire.

Son programme financier destiné à faire entrer le pays dans l’économie d’après-midi fut, quoique approuvé par les Chambres, repoussé par le peuple mobilisé par les conservateurs. Weber fut victime de l’interférence entre la démocratie représentative (le pouvoir des élus du peuple) et la démocratie directe (l’appel au peuple).

Si l’UDC se lance dans une course aux référendums et initiatives sur les grands objets de politique générale, il est certain que la survie du système imposera une réduction drastique de la démocratie directe. La manière dont les Etats membres de l’Union européenne ont réglé la ratification du nouveau traité constitutionnel, en passant allègrement (et avec raison!) sur les velléités référendaires de certains, devrait ouvrir les yeux des stratèges blochériens zurichois.

D’ailleurs Nicolas Sarkozy vient de faire un pas de plus en proposant purement et simplement l’abolition du référendum obligatoire prévu par la constitution française sur l’élargissement de l’UE.