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L’apprentie coiffeuse et le vide du pouvoir

Un Palais fédéral trop petit pour l’UDC, une armée qui pleurniche et une affaire Roschacher-Blocher qui fait pschittt: autant de signes que les Suisses ont la chance unique de ne pas être gouvernés.

Avec la tête de l’emploi, elle dit pourtant qu’elle n’a pas cherché à jouer les maîtresses d’école ni à taper sur les doigts des (mauvais) élèves du Conseil fédéral. Telle a été, selon elle, l’année présidentielle de Micheline Calmy-Rey. Aurait-elle voulu se montrer impitoyable avec ses petits camarades qu’elle n’aurait pas pu. La présidence de la Confédération semble en effet appartenir à un de ces nombreux leurres politiques dont raffole le pays.

Hommage soit donc rendu à la lucidité du conseiller national UDC Yvan Perrin. Non pas pour avoir testé lui aussi, toutou saisi de mimétisme envers son maître, les délicats effets du taser, à la demande d’un Matin dont la teinte orangée vire de plus en plus au brûnatre. Mais plutôt pour avoir décrété, dans le même organe, version dominicale, à propos du glamour en politique, que «ce n’est pas seulement qu’il n’y a pas d’érotisation du pouvoir en Suisse. Il n’y a pas de pouvoir tout court».

Même si dans le cas d’Yvan Perrin, et de l’UDC, cette évanescence d’un pouvoir inexistant et introuvable s’apparente sans doute plus à un regret qu’à une froide constatation.

Une preuve concrète, presque mesquine, vient encore d’en être apportée: la Suisse aime tellement peu les majorités, les dominations sans partage, qu’aucune salle du Palais fédéral n’est assez grande pour accueillir une délégation aussi importante que le nouveau groupe parlementaire UDC — 71 personnes — et qu’il faudra prévoir des rénovations supplémentaires pour mettre aux phalangistes blochériens de tenir leurs réunions intimes. Les électeurs feraient bien de s’en souvenir la prochaine fois, surtout que ce lifting supplémentaire du Palais pourrait coûter 100 millions: de l’UDC, comme du reste, point trop n’en faut.

Bref, profil bas pour tout le monde, c’est la règle. Les militaires, derniers extra-terrestres à encore oser, il n’y a pas si longtemps, bomber le torse et rouler les chars mécaniques, se cachent pour pleurer: ils n’auront même pas réussi à faire financer par le contribuable un livre à la gloire du «général» Keckeis, et leur grand chef Samuel Schmid, ci-devant ministre de la défense, en est lui aussi à gigoter dans la presse, à vilipender ceux qui voudraient supprimer la possession de l’arme de service à la maison, au prétexte d’un énième fait divers tragique.

Et de confesser, dans La Liberté, cet étonnant aveu de faiblesse: l’armée ne peut pas être tenue responsable de la mort d’une jeune apprentie-coiffeuse à Zurich, canardée par une recrue désaxée, au motif que la chose militaire n’est pas plus nuisible et mortifère que «la drogue»: «Combien de morts avons-nous eu en raison d’une politique de laisser faire?» demande Schmid. Oui, l’armée suisse en est là: se dire pas plus coupable, pas plus dangereuse qu’un petit gang de dealers.

A pouvoir débile, contre-pouvoir flageollant: dans l’affaire Roschacher-Blocher, nous promettait-on, on allait voir ce qu’on allait voir. La gauche et les Verts annonçaient un bain de sang, orchestré par l’impitoyable et néanmoins démocrate-chrétienne présidente de la commission de gestion, la bien prénommée Lucrezia Meier-Schatz — plus «schätzli» que Borgia en l’occurrence: le tribun populiste allait être renvoyé à sa chère chimie, ça n’allait pas faire un pli.

Résultat: rien, nada, pas la plus petite ombre de minuscule violation de séparation des pouvoirs. Non, Blocher, blanc comme neige, n’a pas usé de son influence pour pousser le procureur Roschacher à la démission et le voilà et absous par ses collègues du Conseil fédéral dont certains n’hésitaient pas, il y a encore quelques semaines, à le traiter de Duce. On avait juste oublié que pour violer le saint principe de la séparation des pouvoirs, encore faudrait-il, comme dirait le bon Perrin, qu’il y en ait un, de pouvoir. Alors trois, vous pensez.

Tout cela pour constater que le 12 décembre prochain, avec putsch ou non, avec Blocher évincé ou Couchepin au tapis, avec la révolution, comme avec le statu quo, avec un Vert dans le fruit comme un deuxième PDC, on ne se retrouvera toujours qu’avec un simple Conseil fédéral: à savoir une miniature — pour ne pas dire une parodie — et donc une absence de pouvoir.

Pas sûr qu’il faille s’en plaindre. N’être né ni en Russie, ni au Vénézuela, cela peut se savourer de temps en temps.