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Rouge de honte

«Pauvre Suisse», titre le Courrier international cette semaine. Attaquée par la presse du monde entier, l’image du pays prend un gros coup sur la tronche. Pendant ce temps, le Conseil fédéral cogite sur la couleur du drapeau…

Si c’est Dolfi qui le dit…

Une catastrophe, un séisme comparable au grounding de Swissair en 2001, voilà comment l’ancien Conseiller fédéral Adolf Ogi juge la détérioration brutale de l’image de notre pays dans la presse étrangère, résumée par la une du Courrier international cette semaine: «Pauvre Suisse».

Titre sans appel, agrémenté d’une caricature grimaçante de qui vous savez, l’homme qui a focalisé sur lui toute la campagne électorale et que la Süddeutsche Zeitung par exemple estime «plus dangereux que Haider».

Signe d’un opprobre général, même les faits divers semblent nous désigner du doigt: un train, certes lui aussi allemand, a réussi à dérailler dans le Lötschberg tout beau tout neuf, même pas encore tout à fait en service.

Face à tant de suspicion et de mauvais procès, il fallait faire face et c’est ce moment qu’a choisi le Conseil fédéral pour viser à l’essentiel: le sexe des anges étant déjà pris, il s’est mis à cogiter sur la couleur du drapeau.

En cause, non pas la forme — quadrilatère parfait et dimensions de la croix mathématiquement établies — mais le fond, ce fameux rouge qui n’est officialisé par aucun texte législatif. Déjà qu’avec celui du Vatican, le drapeau suisse est le seul à se vouloir carré, le seul aussi qu’on puisse hisser à l’envers. Utile lorsqu’un apéro particulièrement solide a précédé, ce qui peut arriver, le lever des couleurs.

Le texte que le Conseil fédéral va mettre en consultation d’ici la fin de l’année vise plus large et concerne la protection légale de l’ensemble de la marque «suisse».

N’empêche, c’est le rouge du drapeau qui focalise toutes les attentions. Le quotidien 24 Heures nous apprend que pour les internautes, la question est déjà tranchée: le vrai rouge suisse serait le Pantone 486, utilisé d’ailleurs par la Croix-Rouge ou le Credit Suisse, deux institutions qui ont fait beaucoup pour la réputation du pays, évidemment chacune dans leur style si caractéristique.

Les fabricants de drapeaux défendent de leur côté leur petit rouge à eux, celui qu’ils ont eu l’habitude d’utiliser jusqu’ici. Les Saint-Gallois de Sevelen AG par exemple ne jurent que par le pantone 186C, un rouge qui, paraît-il «rayonne».

Courrier international, lui, pour évoquer la Suisse, a choisi visiblement une tout autre option, un rouge un peu inquiétant, pas rayonnant du tout, tirant sur le brun et qu’il ne reste qu’à baptiser: le rouge de la honte.

Quitte à repenser le sacro-saint étendard, pourquoi d’ailleurs rester absolument dans le rouge? Alors que d’autres couleurs pourraient tout aussi bien faire l’affaire et déboucher sur un nouveau consensus national.

Le noir par exemple, qui ravirait aussi bien les anarchos décérébrés et casseurs, idiots utiles de Blocher, que les blochériens eux-mêmes: une pub alémanique ne vante-t-elle pas les mérites d’un écran plasma dont les contrastes permettront de voir «encore plus noir que Christoph Mörgeli», l’idéologue attitré de l’UDC?

Reste que le politologue qui s’exprime dans la Süddeutsche Zeitung a bien saisi le climat de cette campagne, relevant que les accusations de racisme, voire de néo-nazisme n’avaient fait que conforter les costaudes convictions des sympathisants UDC: «Dans leur représentation hermétique du monde, il n’y voient qu’une preuve de plus d’une vaste conjuration des «autres» contre le peuple».

La lecture à cet égard des dernières salves pro-UDC dans les courriers de lecteurs est édifiante: ce ne sont que pleurnicheries et lamentations sur la façon dont les vilains médias et l’étranger maltraitent le cher grand Führer. On sent que ces braves gens se retiennent pour ne pas dénoncer un évident complot judéo-maçonnique.

Un courrier des lecteurs qui est bien sûr par définition le lieu de toutes les émotions, même et surtout celles qu’on ne contrôle pas et où, cette fois sans honte aucune, on crache ce qu’on a sur le coeur.

Pas besoin d’être UDC pour y déraper avec talent. Telle cette admiratrice du récemment libéré Bertrand Cantat expliquant que le chanteur n’était «qu’à moitié coupable», «puisqu’ils étaient deux». Ce qui reste en effet, pour tout meurtre réussi, le minimum requis.