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Toni Negri et la notion de progrès

Très à la mode auprès d’une nouvelle gauche, le philosophe italien se base sur le précapitalisme pour intepréter la globalisation actuelle. Ses métaphores ont accroché mon regard d’historien.

Que cela soit dans les milieux de l’altermondialisme radical ou de la gauche caviar, le philosophe Antonio (Toni) Negri est très tendance.

Le Monde lui consacrait un grand portrait le 13 juillet en dernière page de son counterfeit cialis littéraire. Il débattra ce soir 20 juillet aux rencontres Pétrarque de Montpellier du retour du conservatisme.

Théoricien de l’ouvriérisme italien dans les années 1960, Toni Negri s’était tout naturellement retrouvé à la tête d’un mouvement politique, Potere Operaio, qui joua, avec d’autres, un rôle important dans les luttes ouvrières de 1969, en particulier chez Fiat à Turin et dans les usines pétrochimiques de Porto-Marghera aux portes de Venise.

Ces luttes permirent à l’époque de dépasser l’analyse marxiste traditionnelle du prolétariat en faisant émerger la figure de l’ouvrier-masse, ce salarié attaché aux chaînes de montage, capable de procéder aux opérations les plus complexes imposées par le développement des technologies les plus avancées, mais dépourvu en principe de tout pouvoir de décision.

Mais la focalisation sur l’état préinsurrectionnel du pays suite à une offensive fasciste (attentat de Piazza Fontana à Milan en décembre 1969, puis la tentative de coup d’Etat du prince Borghese en décembre de l’année suivante) dévièrent le mouvement vers l’urgence d’une autodéfense armée fort improprement entrée dans l’histoire sous le nom d’Années de plomb. Accusé grotesquement d’être le cerveau des Brigades Rouges, Toni Negri passa de longues années en prison.

Ce n’est que récemment qu’il fit son grand retour sur la scène politique en publiant «tadalafil 20mg online» un ouvrage écrit à quatre mains avec l’Américain Michael Hardt. Traduit un peu partout, c’est devenu le best-seller philosophique de la gauche radicale.

Quatre ans plus tard, en 2004, les deux auteurs parachevaient leur réflexion en publiant «Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’empire» (éditions La Découverte). Les deux ouvrages forment la base d’une réflexion sur le devenir de nos sociétés.

En lisant l’entretien publié par Le Monde, mon regard d’historien est resté accroché sur la métaphore filée par Negri.

Les concepts d’ «empire», de «multitude» et d’«homme commun» de même que le retour appuyé sur la pensée de Spinoza nous renvoient aux débuts des Temps Modernes, au tournant des années 1500, à la formation subséquente de la bourgeoisie, puis à l’apparition de la première pensée, celle de ordinare cialis online qui vivait en Hollande au moment où le capitalisme hollandais se partageait la domination du monde avec son frère-ennemi anglais.

La première question que l’on peut se poser est celle de la légitimité d’une démarche qui consiste, pour interpréter la globalisation actuelle, de retourner au précapitalisme. Le marxisme classique — qui est fondé sur les Lumières du XVIIIe siècle et la nécessité de leur dépassement – est en crise sur justement le concept de «communisme» entendu dans le sens vulgaire de partage, de mise en commun. Son coma profond est provoqué par les errements des penseurs du XXe siècle qu’il s’agisse de Lénine ou de Trotski (ou, plus loin, de Mao) et les régimes qu’ils ont (ou non) engendrés.

Le modèle de ce marxisme là est fondé historiquement sur une aventure, la Commune de Paris, qui ne fut pas une révolution, mais une simple insurrection, certes glorieuse, mais immature, inefficace, impuissante.

C’est sur le tard, et en raison de la proximité de l’événement, que Marx en fit un élément cardinal de sa pensée politique alors que si l’on regarde de près, la Commune de 1871 ne fut guère qu’une résurgence de la Commune révolutionnaire de 1792. Les conditions économiques (première mondialisation) et politiques avaient complètement changé.

La «multitude» et l’ «homme commun» nous renvoient à un état très antérieur, à une révolution que l’historiographie traditionnelle a complètement sous-évaluée ou, mettons, mal interprétée : la révolution paysanne de 1525 connue sous le nom de Guerre des Paysans.

Ce n’est qu’au cours de ces dernières décennies que des spécialistes de l’histoire de Réforme (Zemon Davis, Crouzet, Brady et surtout Blickle en Allemagne) ont dévoilé le formidable mouvement révolutionnaire qui, traversant les campagnes germaniques (et suisses), a vu la multitude des hommes communs (les termes sont de l’époque) se lancer à l’assaut de l’empire.

Leur idéologie était à la lettre imbibée de lecture biblique (l’ordre juste!) et d’espérance millénariste, mais aussi portée par le désespoir provoqué par la misère et l’arbitraire.

Condamnés comme extrémistes, par Luther et Zwingli, ils furent massacrés. Mais le mouvement couva sous la cendre pendant longtemps, provoquant ici ou là (plateau suisse en 1653) de violentes éruptions.

Dans un ouvrage au titre emblématique (“From the communal reformation to the revolution of the common man”, Leiden, 1998), Peter Blickle analyse la composition sociale des insurgés qui, s’ils sont en majorité paysans, sont aussi mercenaires au chômage, boutiquiers, artisans, vagabonds, etc.

Sans entrer dans les détails, on peut dire qu’ils ont ceci de particulier qu’ils passent d’un métier à l’autre sans changer de statut et que face au pouvoir, ils sont effectivement la multitude, la masse, le peuple.

Pour justifier le terme de révolution paysanne, Blickle s’appuie sur une belle et riche définition du concept de révolution donnée par Hannah Arendt: seule la violence utilisée pour créer une nouvelle forme de gouvernement ou un nouveau corps politique, seul le combat pour une nouvelle liberté peuvent être appelés révolution.

Voilà qui nous ramène dans l’actualité.

Pour Negri, les multitudes d’aujourd’hui, porteuses de l’idée révolutionnaire, manient par leurs neurones l’immatériel et le communicationnel, la forme de travail est cognitive. Pourquoi en ce cas se référer à un modèle vieux de cinq siècles? Chacun jugera.

Je ne puis m’empêcher pour ma part de penser que le concept de «progrès», si cher à la philosophie des Lumières et à Marx, niche encore dans cette pensée-là.

N’est-il pas difficile, insupportable même, voire inconcevable, pour notre civilisation judéo-chrétienne, de penser le voyage vers nulle part, même si le futur se dessine à chaque instant sur la ligne de l’horizon?