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Pour une Suisse qui va plus vite

Des chantiers interminables, une administration qui tourne trop souvent au ralenti, des communications moins rapides qu’à l’étranger… Alors que la planète ne cesse d’accélérer, la Suisse semble se complaire dans sa réputation de lenteur.

Les Suisses sont lents. N’y a-t-il rien d’autre à dire dans l’actualité du monde pour qu’un grand magazine d’information en vienne à consacrer un dossier à un cliché pareil? Et pourquoi pas un numéro spécial sur la volubilité des Italiens? Si ce thème s’est imposé, c’est qu’au delà du constat amusé de la lenteur helvétique se cache une réalité plus cruelle: dans un pays obsédé par les horloges et la ponctualité, nos trains se traînent, nos autoroutes se bouchent, nos chantiers s’éternisent, nos étudiants n’en finissent plus d’étudier, sans parler de nos connexions à Internet: les plus lentes, et les plus chères, de tous les pays occidentaux. Avec des conséquences évidentes sur la compétitivité de la Suisse à l’échelle internationale.

Le plus préoccupant, c’est que les Suisses semblent avoir intégré cette lenteur dans leur mode de vie, au point de considérer comme normal que la construction d’une ligne de tram de 9 km nécessite trois ans de travaux, ou qu’une commission consultative examine le changement d’orientation d’une fenêtre de maison pendant trois mois. Ils se consolent en se disant que c’est souvent pire ailleurs (administration italienne, poste française, trains britanniques).

Au point qu’après avoir présenté le réaménagement du quartier de La Praille ce printemps, le Conseiller d’Etat genevois Mark Muller n’a surpris personne en précisant que le chantier «pourrait démarrer d’ici quatre à cinq ans»! Après le feu vert, il faut donc plus de temps à Genève pour donner un premier coup de pioche qu’il n’en faut pour creuser un tunnel sous la Manche ou construire un nouveau quartier à Shanghai (Pudong, 500 km2 de gratte-ciel, un aéroport et un train rapide).

Certes, la Suisse n’est pas trop à plaindre. Sa qualité de vie et son dynamisme font des envieux. Et il faut reconnaître que son administration s’est bien raffermie au cours de la dernière décennie. Mais les archaïsmes restent nombreux. Une nouvelle génération d’acteurs économiques et politiques, tous bords confondus, commence d’ailleurs à s’en inquiéter, à l’image du jeune Conseiller administratif genevois Pierre Maudet. «Le temps politique est devenu beaucoup trop lent par rapport aux évolutions du monde, c’est à s’arracher les cheveux, résume-t-il. Le pouvoir et les processus de décision sont tellement atomisés que l’on a érigé l’attente en système. Sans parler du proverbial perfectionnisme: on renonce à un projet simplement parce qu’il n’est pas parfait.»

Il cite l’exemple des connexions sans fil. «Je me bats depuis 2003 pour que Genève installe quelques bornes d’accès Wifi pour permettre de se brancher sur Internet sans fil dans certains lieux publics, comme c’est le cas dans tous les grands centres urbains du monde. Un projet pas cher, pas compliqué, à la portée de n’importe quelle municipalité. Il aura fallu quatre ans de palabres et de force de conviction pour commencer l’installation de ces quelques émetteurs.» La Ville de Genève a finalement annoncé il y a deux semaines l’ouverture d’un réseau public Wifi – autour de la rade, du jardin botanique et de la plaine de Plainpalais – après toutes les villes globales dont elle se veut la concurrente.

«Dans un monde qui s’accélère, la Suisse manque d’anticipation, constate le mathématicien Xavier Comtesse, pilote du think tank Avenir Suisse qui réunit les grandes entreprises du pays. Le pragmatisme helvétique fait que l’on commence à réagir seulement quand les problèmes surgissent. La faillite de Swissair l’illustre crûment: on a dû attendre le désastre pour intervenir. Il en va de même pour les infrastructures: inadapté aux besoins et au réseau de transport italien, le nouveau Gothard s’annonce comme la prochaine catastrophe nationale.»

Dans les secteurs d’innovation, le manque de réactivité politique peut coûter cher. «Il y a vingt ans, nous étions leader mondial en matière d’énergie solaire, raconte le socialiste Roger Nordmann, Conseiller national vaudois. Aujourd’hui, la Suisse est à la traîne dans ce domaine. Refusant de considérer le réchauffement climatique comme une priorité, le système politique a permis à des lobbies de tout ralentir.»

Cette résistance au changement vient de la cartellisation de l’économie, mais aussi d’un excès de consultation et de ce perfectionnisme obsessionnel qui continue d’imprégner nos institutions au point d’en devenir parfois contre-productif. Dans ce dossier, nous avons analysé quelques uns de ces blocages qui freinent la Suisse du XXIe siècle. Des exemples à lire sans tarder, et à toute vitesse:

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Une version de ce dossier est parue dans L’Hebdo du 5 juillet 2007.