LATITUDES

Ils s’aiment malgré tout ce qui les sépare

Elle est petite, il est très grand. Quinze ans ou dix mille francs de salaire mensuel les séparent. Jamais un bookmaker ne parierait sur la viabilité de ces unions apparemment mal assorties. Et pourtant. Rencontre avec quelques couples hors norme.

Ces temps, les magazines people exhibent de drôles d’amoureux dans leurs pages. Sophie Marceau est surprise en flagrante intimité avec Christophe Lambert, expert en navets, alors qu’il n’y a pas si longtemps, elle était éprise du très cérébral réalisateur polonais Andrzej Zulawski. Quelques pages plus loin, le dandy roi du contre-pied langagier, Edouard Baer, craque pour les arpèges et la poésie très premier degré de la jeune Amel Bent, demi-finaliste de l’émission «La Nouvelle Star» de M6.

Plus surprenante encore: la relation (sortent-ils toujours ensemble?) entre l’écrivaine intello Christine Angot et le rappeur mollasson Doc Gynéco ressemble à un assemblage douteux de thé vert et de chantilly.

Feux de paille? Toquades de show-biz? Coups marketing pour relancer des carrières en chute libre? Les doutes sont permis. Il n’empêche que les passions entre individus très différents abondent aussi parmi les anonymes. Andréa Frey-Lutringer vérifie tous les jours l’adage selon lequel les opposés s’attirent, elle qui mesure trente centimètres de moins que son très grand mari de 1m94: «Quand on me voit sans lui, on me trouve plus grande que lorsqu’on me rencontre à son bras», s’amuse-t-elle. Une différence de taille qui n’a pas entravé leur union, bien au contraire; voilà près de quarante ans qu’ils vivent ensemble, dont trente-cinq sous régime marital.

La galeriste lausannoise d’origine écossaise Lucy Mackintosh a rencontré Cyril Veillon lors d’une réception chez elle, à Paris, lorsqu’elle y vivait. Lui avait 22 ans, elle en comptait déjà 35, deux enfants et un mariage derrière elle. «Au début, notre différence d’âge me laissait un peu perplexe, certainement par coquetterie. Mais mon entourage m’a encouragé à vivre cette expérience.»

Un conseil qu’elle n’a jamais regretté en quinze ans de vie commune. «La question de l’âge ne s’est jamais posée, dit aussi son mari, il a fallu par contre gérer les différences culturelles et nos caractères peu symétriques.» Lucy s’avoue extravertie et directe. Elle voit dans le caractère réfléchi et pondéré de son mari une expression de sa «suissitude». Au final, cette dualité complémentaire se transforme en atout dans le cadre de leur collaboration à la galerie. «Nous nous sommes naturellement répartis les rôles, Lucy s’occupe des relations publiques et de toutes les tâches exposées, tandis que j’assume certaines activités moins visibles comme l’administration et la gestion.»

«Les contraires s’attirent, je l’ai vérifié moi-même», assure Josiane Perotto, responsable de l’agence matrimoniale Select Rencontres à Genève. «Après deux divorces, j’ai rencontré mon mari à travers un club de célibataires français. Nous n’avions pas grand-chose en commun. Face à son érudition, je n’avais que l’école de la vie à mettre dans la balance», raconte cette ancienne employée de l’industrie pharmaceutique. Dans son agence, elle se fie volontiers à son intuition et ne fait pas toujours confiance aux profils des candidats à l’amour: «Toutes ces statistiques et ces désirs restent des mots. Certaines rencontres a priori vouées à l’échec débouchent sur de véritables coups de foudre quand on force un peu le destin. Le feeling ne s’explique pas.»

Selon elle, les couples dissemblables s’ennuieraient moins que les partenaires très proches l’un de l’autre: «On s’enrichit au contact de l’autre.»

L’experte insiste pourtant sur un tronc commun nécessaire pour construire une relation viable: «Une communion d’intérêts me semble primordiale pour le bon fonctionnement du couple. On peut évidemment imaginer que l’un joue au tennis, l’autre au golf et que chacun initie son compagnon à son sport, mais en général le partage de hobbys similaires favorise l’entente.» Elle a appris aussi que certaines caractéristiques indépendantes de la personnalité peuvent s’avérer plus rédhibitoire qu’un gros nez ou une petite taille: «Le tabac, les enfants, les animaux,…», énumère la marieuse.

Même si les couples surmontent aisément leurs dissemblances, celles-ci peuvent à l’occasion attirer les plaisanteries de l’entourage, voire engendrer certaines réticences: «Notre différence d’âge laissait craindre à ma famille que notre relation ne durerait pas. Le mariage nous a permis de marquer le coup, d’officialiser notre amour», dit Cyril Veillon. Les propos que certains amis de Violette Braun, 28 ans, employée d’une banque privée à Genève, ont tenu à l’égard de son petit ami l’ont profondément choquée: «Des collègues désapprouvaient notre relation. Pire, certains amis d’enfance ont traité Xavier de looser.» La raison de cette antipathie? «Depuis qu’il a abandonné son apprentissage d’électricien il y a deux ans, il n’a pas retrouvé d’emploi.»

Avec le temps, elle est parvenue à le mieux faire accepter, mais certains hésitent encore à lui faire confiance: «Ils sont persuadés qu’il veut profiter de moi et de ma situation.»

Dans une veine plus légère, les trente centimètres qui séparent Andréa Frey-Rutinger de son mari sont presque devenus proverbiaux dans leur petite commune de Bottens: «A l’occasion d’un rallye organisé par le club de foot du village, une question demandait aux participants d’évaluer notre différence de taille», se rappelle l’épouse hilare.

Sources infinies d’anecdotes, les couples en apparence mal assortis insistent surtout sur leurs nombreuses similitudes: «Nous partageons les mêmes goûts, la même sensibilité pour la musique et le cinéma, «Lost in Translation» est notre film favori », témoigne Violette Braun aux sceptiques.

«Les années passent et les différences s’estompent», confirme Lucy Mackintosh. Pour rien au monde la galeriste ne songerait à modifier son apparence physique pour sembler plus jeune: «Je refuse la gymnastique et la chirurgie esthétique, il faut accepter son âge. Ma fille me sait d’ailleurs gré de ne pas m’habiller comme elle.» Quant à Josiane Perotto, elle regrette «qu’aujourd’hui les gens exigent tellement d’un partenaire et que les préjugés sociaux leur importent tant. Heureusement, l’amour et l’être humain sont bien plus subtils, d’autres alchimies que la ressemblance peuvent fonctionner.»