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Ce que l’affaire Raoul dit de la Suisse

«Un truc pareil n’arriverait jamais en Suisse. Jamais nous ne mettrions un jeune garçon de 11 ans en prison.» Dans sa couverture du procès du jeune Raoul, la chaîne américaine CNN rapporte les propos de citoyens suisses indignés. Au delà des faits (Raoul a-t-il vraiment brutalisé et violé sa demi-soeur de 5 ans?), l’affaire éclaire violemment les oppositions culturelles entre l’Europe (la Suisse en particulier) et les Etats-Unis.

En premier lieu, ce sont deux conceptions de la justice qui s’affrontent: l’une, ultraprocédurière et spectaculaire, se développe comme si le tribunal était l’unique endroit où la société pouvait régler ses problèmes. L’autre, c’est celle d’une Europe qui veut privilégier la discrétion dans la sphère familiale et sexuelle. «En Suisse, quelqu’un se mettrait autour d’une table avec les parents de Raoul pour discuter», dit par exemple à CNN le président de la communauté helvétique de la région de Denver. Rien n’est pourtant moins sûr dans un pays où la tradition du tabou et du secret s’infiltre jusque dans les coffres des banques. Même dans une Suisse réputée sécuritaire et policière, il en faudrait beaucoup pour mettre en cause un père violent ou un grand frère violeur. La voisine de Raoul aurait peut-être observé le mic-mac du jeune garçon par dessus la haie, elle en aurait parlé au village, mais elle n’aurait probablement alerté la police que s’il avait abîmé ses hortensias ou griffé la portière de son Opel…

L’Europe aime bien stigmatiser, voire ridiculiser, le puritanisme et le juridisme excessifs des Américains. On se souvient de la relation extraconjugale entre le président Clinton et sa stagiaire Monica Lewinsky qui avait déclenché une cabale politico-médiatique gigantesque aux Etats-Unis, pendant que les journaux européens riaient sous cape, parfois grassement. Peu avant, la fille illégitime de Mitterrand avait été soigneusement dissimulée par une sphère journalistique française complaisante et complice.

Avec l’affaire Raoul, la cabale médiatique a lieu en Suisse. Elle occulte le débat. La justice américaine va-t-elle trop loin en jugeant un garçon de 11 ans pour inceste? Peut-être. Mais la question n’est pas discutée: la seule chose qui compte, c’est que la justice suisse ne l’emprisonnerait pas. Les médias populaires en profitent pour réveiller un anti-américanisme toujours vendeur. Le Blick, plus grand journal du pays, a d’ailleurs pris position bien avant de connaître les faits. Il mène campagne et demande à ses lecteurs de protester par écrit. Dans la partie francophone, le quotidien populaire Le Matin ouvre une ligne téléphonique pour que ses lecteurs, échauffés par les articles, y déversent leur fiel contre ces Américains qui se croient tout permis en attaquant l’un des leurs. Une fois de plus, comme dans l’affaire des fonds en déshérence, c’est le petit gentil contre le grand méchant, un sentiment facile à aiguiser dans une Suisse si fière. Mais qui mettra en cause des parents qui abandonnent ainsi leur enfant aux mains de la justice américaine en retournant au pays?

Dans les médias, personne ne se demande ce qu’il faudrait faire d’un enfant violeur, au cas où sa culpabilité serait reconnue. Il faut «Libérer Raoul», comme dit le site Internet du comité de soutien à l’enfant. Du côté des autorités, le Département des affaires étrangères «prend acte de l’accusation formelle de Raoul Wüthrich» – sans s’embarasser au passage de la protection de l’identité de l’accusé – et assure que l’on apportera à l’enfant «toute l’assistance consulaire nécessaire».